Devoir de Français

Sarraute, Enfance.

Extrait du document

Sarraute, Enfance. « Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête, plein de plume choisie, et blanc et fait pour moi… » tout en récitant, j'entends ma petite voix que je rends plus aiguë qu'elle ne l'est pour qu'elle soit la voix d'une toute petite fille, et aussi la niaiserie affectée de mes intonations… je perçois parfaitement combien est fausse, ridicule, cette imitation de l'innocence, de la naïveté d'un petit enfant, mais il est trop tard, je me suis laissé faire, je n'ai pas osé résister quand on m'a soulevée sous les bras et placée debout sur cette chaise pour qu'on me voie mieux… si on me laissait par terre, on ne me verrait pas bien, ma tête dépasserait à peine la longue table à laquelle sont assis, de chaque côté d'une mariée tout en blanc, des gens qui me regardent, qui attendent… j'ai été poussée, j'ai basculé dans cette voix, dans ce ton, je ne peux plus reculer, je dois avancer affublée de ce déguisement de bébé, de bêta, me voici arrivée à l'endroit où il me faut singer l'effroi, j'arrondis les lèvres, j'ouvre mes yeux tout grands, ma voix monte, vibre… « Quand on a peur du loup, du vent, de la tempête… » et puis la tendre, candide émotion… « Cher petit oreiller, comme je dors bien sur toi… », je parcours jusqu'au bout ce chemin de la soumission, de l'abject renoncement à ce qu'on se sent être, à ce qu'on est pour de bon, mes joues brûlent, tandis qu'on me descend de ma chaise, que je fais de mon propre gré une petite révérence de fillette sage et bien élevée et cours me cacher… auprès de qui ?… qu'est-ce que je faisais là ?… qui m'avait amenée ?… sous les rires approbateurs, les exclamations amusées, attendries, les forts claquements des mains…

Liens utiles