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Samuel Beckett (1906-1989), En attendant Godot (1953), Acte 1.

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Samuel Beckett (1906-1989), En attendant Godot (1953), Acte 1. VLADIMIR. - Quand j'y pense... depuis le temps... je me demande... ce que tu serais devenu... sans moi... (Avec décision.) Tu ne serais plus qu'un petit tas d'ossements à l'heure qu'il est, pas d'erreur. ESTRAGON (piqué au vif). - Et après ? VLADIMIR (accablé). - C'est trop pour un seul homme. (Un temps. Avec vivacité.) D'un autre côté, à quoi bon se décourager à présent, voilà ce que je me dis. Il fallait y penser il y a une éternité, vers 1900. ESTRAGON. - Assez. Aide-moi à enlever cette saloperie. VLADIMIR. - La main dans la main on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les premiers. On portait beau alors. Maintenant il est trop tard. On ne nous laisserait même pas monter. (Estragon s'acharne sur sa chaussure.) Qu'est-ce que tu fais ? ESTRAGON. - Je me déchausse. Ça ne t'est jamais arrivé, à toi ? VLADIMIR. - Depuis le temps que je te dis qu'il faut les enlever tous les jours. Tu ferais mieux de m'écouter. ESTRAGON (faiblement). - Aide-moi ! Vladimir. - Tu as mal ? ESTRAGON. - Mal ! II me demande si j'ai mal ! VLADIMIR (avec emportement). - Il n'y a jamais que toi qui souffres ! Moi je ne compte pas. Je voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m'en dirais des nouvelles. ESTRAGON. - Tu as eu mal ? VLADIMIR. - Mal ! Il me demande si j'ai eu mal ! ESTRAGON (pointant l'index). - Ce n'est pas une raison pour ne pas te boutonner. VLADIMIR (se penchant). - C'est vrai. (Il se boutonne.) Pas de laisser-aller dans les petites choses. ESTRAGON. - Qu'est-ce que tu veux que je te dise, tu attends toujours le dernier moment. VLADIMIR (rêveusement). - Le dernier moment... (Il médite.) C'est long, mais ce sera bon. Qui disait ça ? ESTRAGON. - Tu ne veux pas m'aider ? VLADIMIR. - Des fois je me dis que ça vient quand même. Alors je me sens tout drôle. (Il ôte son chapeau, regarde dedans, y promène sa main, le secoue, le remet.) Comment dire ? Soulagé et en même temps... (Il cherche) ... épouvanté. (Avec emphase.) É-POU-VAN-TÉ. (Il ôte à nouveau son chapeau, regarde dedans.) Ça alors ! (Il tape dessus comme pour en faire tomber quelque chose, regarde à nouveau dedans, le remet.) Enfin... (Estragon, au prix d'un suprême effort, parvient à enlever sa chaussure. Il regarde dedans, y promène sa main, la retourne, la secoue, cherche par terre s'il n'en est pas tombé quelque chose, ne trouve rien, passe sa main à nouveau dans la chaussure, les yeux vagues.) - Alors ? ESTRAGON. - Rien. VLADIMIR, - Fais voir. ESTRAGON. - Il n'y a rien à voir. VLADIMIR. - Essaie de la remettre. ESTRAGON (ayant examiné son pied). -- Je vais le laisser respirer un peu. VLADIMIR. - Voilà l'homme tout entier, s'en prenant à sa chaussure alors que c'est son pied le coupable. (Il enlève encore une fois son chapeau, regarde dedans, y passe la main, le secoue, tape dessus, souffle dedans, le remet.) Ça devient inquiétant. (Silence. Estragon agite son pied, en faisant jouer les orteils, afin que l'air y circule mieux.)

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