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Remy de GOURMONT (1858-1915) (Recueil : Les divertissements) - Le soir

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Remy de GOURMONT (1858-1915) (Recueil : Les divertissements) - Le soir Heure incertaine, heure charmante et triste : les roses Ont un sourire si grave et nous disent des choses Si tendres que nos coeurs en sont tout embaumés ; Le jour est pâle ainsi qu'une femme oubliée, La nuit a la douceur des amours qui commencent, L'air est rempli de songes et de métamorphoses ; Couchée dans l'herbe pure des divines prairies, Lasse et ses beaux yeux bleus déjà presque endormis, La vie offre ses lèvres aux baisers du silence. Heure incertaine, heure charmante et triste : des voiles Se promènent à travers les naissantes étoiles Et leurs ailes se gonflent, amoureuses et timides, Sous le vent qui les porte aux rives d'Atlantide ; Une lueur d'amour s'allume comme un adieu À la croix des clochers qui semblent tout en feu Et à la cime hautaine et frêle des peupliers : Le jour est pâle ainsi qu'une femme oubliée Qui peigne à la fenêtre lentement ses cheveux. Heure incertaine, heure charmante et triste : les heures Meurent quand ton parfum, fraîche et dernière fleur, Épanche sur le monde sa candeur et sa grâce : La lumière se trouble et s'enfuit dans l'espace, Un frisson lent descend dans la chair de la terre, Les arbres sont pareils à des anges en prière. Oh ! reste, heure dernière ! Restez, fleurs de la vie ! Ouvrez vos beaux yeux bleus déjà presque endormis... Heure incertaine, heure charmante et triste : les femmes Laissent dans leurs regards voir un peu de leur âme ; Le soir a la douceur des amours qui commencent. Ô profondes amours, blanches filles de l'absence, Aimez l'heure dont l'oeil est grave et dont la main Est pleine des parfums qu'on sentira demain ; Aimez l'heure incertaine où la mort se promène, Où la vie, fatiguée d'une journée humaine, Entend chanter enfin, tout au fond du silence, L'heure des songes légers, l'heure des indolences !

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