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Raymond Queneau

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Raymond Queneau "Je naquis au Havre un vingt et un février en mil neuf cent et trois. Ma mère était mercière et mon père mercier : ils trépignaient de joie." Ainsi Raymond Queneau nous renseigne-t-il lui-même, dans son roman psychanalytique en vers Chêne et Chien, sur la date et les conditions tant psychologiques que sociologiques de sa naissance. Continuons le portrait : l' "Académicien Goncourt", l'auteur à la mode de Zazie dans le métro, le styliste cocasse des Exercices de style joués par les Frères Jacques, le chansonnier Rive Gauche de Si tu t'imagines, le directeur de l'Encyclopédie de la Pléiade, en un mot : Queneau, mon ami, est un grand écrivain, un grand poète, un grand romancier longtemps méconnu au cœur même de sa célébrité. Je veux dire que l'un des premiers créateurs de ce temps a pu être pris parfois simplement pour un aimable virtuose du rire. "Au début était le Verbe". Poète, Raymond Queneau ne l'oublie pas, ni qu'il a vocation pour nous donner un langage nouveau, et par cela même une vision nouvelle du monde où nous vivons. Cet univers poétique qu'il nous offre, nous le trouverons aussi bien dans ses poèmes que dans ses romans : ici et là, le langage sera le même, issu d'un savant travail sur le parler populaire ; le même aussi, l'humour qui mettra entre l'auteur et son émotion l'expression de celle-ci, ainsi qu'entre l'auteur et nous, ses lecteurs, la distance de l'insolite ou du comique ; les mêmes enfin, les thèmes souvent enracinés au plus lointain de l'enfance. D'ailleurs, il n'est que d'écouter l'auteur de l'Explication des Métaphores et de la Saint-Glinglin pour être assuré de l'unité poétique de son œuvre. Il écrivait, à propos de son premier roman le Chiendent : "J'ai donné une forme, un rythme à ce que j'étais en train d'écrire. Je me suis fixé des règles aussi strictes que celles du sonnet... J'ai écrit d'autres romans avec cette idée de rythme, cette intention de faire du roman une sorte de poème. On peut faire rimer des situations ou des personnages comme on fait rimer des mots, on peut même se contenter d'allitérations. Enfin, je n'ai jamais vu de différences essentielles entre le roman, tel que j'ai envie d'en écrire, et la poésie."

« Raymond Queneau "Je naquis au Havre un vingt et un février en mil neuf cent et trois.

Ma mère était mercière et mon père mercier : ils trépignaient de joie." Ainsi Raymond Queneau nous renseigne-t-il lui-même, dans son roman psychanalytique en vers Chêne et Chien, sur la date et les conditions tant psychologiques que sociologiques de sa naissance. Continuons le portrait : l' "Académicien Goncourt", l'auteur à la mode de Zazie dans le métro, le styliste cocasse des Exercices de style joués par les Frères Jacques, le chansonnier Rive Gauche de Si tu t'imagines, le directeur de l'Encyclopédie de la Pléiade, en un mot : Queneau, mon ami, est un grand écrivain, un grand poète, un grand romancier longtemps méconnu au coeur même de sa célébrité.

Je veux dire que l'un des premiers créateurs de ce temps a pu être pris parfois simplement pour un aimable virtuose du rire. "Au début était le Verbe".

Poète, Raymond Queneau ne l'oublie pas, ni qu'il a vocation pour nous donner un langage nouveau, et par cela même une vision nouvelle du monde où nous vivons.

Cet univers poétique qu'il nous offre, nous le trouverons aussi bien dans ses poèmes que dans ses romans : ici et là, le langage sera le même, issu d'un savant travail sur le parler populaire ; le même aussi, l'humour qui mettra entre l'auteur et son émotion l'expression de celle-ci, ainsi qu'entre l'auteur et nous, ses lecteurs, la distance de l'insolite ou du comique ; les mêmes enfin, les thèmes souvent enracinés au plus lointain de l'enfance.

D'ailleurs, il n'est que d'écouter l'auteur de l'Explication des Métaphores et de la Saint-Glinglin pour être assuré de l'unité poétique de son oeuvre.

Il écrivait, à propos de son premier roman le Chiendent : "J'ai donné une forme, un rythme à ce que j'étais en train d'écrire.

Je me suis fixé des règles aussi strictes que celles du sonnet...

J'ai écrit d'autres romans avec cette idée de rythme, cette intention de faire du roman une sorte de poème.

On peut faire rimer des situations ou des personnages comme on fait rimer des mots, on peut même se contenter d'allitérations.

Enfin, je n'ai jamais vu de différences essentielles entre le roman, tel que j'ai envie d'en écrire, et la poésie." Cette déclaration n'est pas pour nous surprendre si nous nous souvenons que notre romancier-poète fait à juste titre remonter la littérature profane à Homère. "Homère, ô père de toute littérature et de tout scepticisme...", s'écrie-t-il avec autant de sincérité que d'ironie.

Et il voit dans toute grande oeuvre soit une Iliade, soit une Odyssée.

Or, l'Iliade et l'Odyssée, les appellerons-nous poèmes ? ou romans ? L'un et l'autre ; ainsi des fictions de Raymond Queneau. Son art romanesque est d'une extrême et secrète complexité, qu'il utilise la prose comme dans le Chiendent, les vers comme dans le roman autobiographique et psychanalytique Chêne et Chien, ou encore la prose et les vers comme dans la Saint-Glinglin. Richesse, maîtrise et étrangeté de cet art, de ces oeuvres, où chaque apparence "déguise", comme dit l'auteur, une apparence plus secrète, celle-ci à son tour, lorsque nous la découvrons, se référant à un autre secret qu'elle revêt. De secret en secret, les uns mathématiques, les autres littéraires, et de sourire en sourire, de lecture en lecture (car à chaque nouveau voyage à travers l'oeuvre de Queneau, notre attention est récompensée par de nouvelles découvertes ; n'est-ce pas là le signe même de la grandeur d'une oeuvre, que de pouvoir nous offrir une suite, à la limite sans fin, de visages ?), d'énigme donc en énigme énigmes en apparence non énigmatiques, si j'ose dire ! nous parvenons à une très profonde émotion, très profondément cachée, enfouie sous les diverses stratifications du langage et de l'amour.

Cette émotion est à la fois angoisse et amour : angoisse devant la vie, vertige devant le néant qui sape l'existence de tout être, de toute chose, et amour de cette même vie blessante et blessée, amour des hommes à travers le langage qui, à la fois, les dissimule et les révèle, témoignant en même temps de leur grandeur et de leur détresse (et la cocasserie, si elle coupe au lyrisme ses ailes, ne lui donne ainsi que plus de surprenante force).

Au-delà du rire, au-delà de l'humour, angoisse et amour brûlent tout au fond des poèmes et des romans de Queneau. Plusieurs de ces romans et de ces poèmes présentent une forme cyclique.

Le Chiendent, par exemple, qui débute et s'achève sur la même phrase ; la SaintGlinglin, qui nous conte l'histoire d'une perturbation atmosphérique dont on peut se demander, après coup, si même elle a eu lieu ; et Zazie, qu'on rencontre à la gare, à la fin de ses aventures c'est à la gare qu'on la reconduit, sans qu'elle ait jamais découvert ce métro, ce dessous des choses, cet envers du décor qui l'attirait.

Sans doute faut-il voir, dans ce mouvement circulaire, dans cette façon de tourner en rond, un mode de négation interne, un moyen de nier tout en affirmant.

Raymond Queneau est normand, et le sait ; il sait aussi que bien plus normande est la vie dans son ambiguïté foncière. Que l'homme et son décor sont inexistants, voilà qui ne paraît pas tellement gai, et voilà qui semble paradoxal pour servir de fondement à une création poétique qui, elle, existe ! Mais, précisément, cette création à partir du doute, et à partir de la conscience du néant, n'est-elle pas une défense, une réaction contre le vertige dont elle témoigne ? Le doute en s'exprimant s'atténue ; d'une certaine façon, si l'oeuvre de Raymond Queneau nie subtilement en affirmant, plus subtilement encore, elle trace un nouveau cercle où la négation, en se révélant, se nie elle-même en partie.

C'est que le langage est l'antidote du doute, même s'il en est le message ; c'est que l'amour est l'antidote de l'angoisse, même s'il naît dans la souffrance. Longtemps, sous leur humour, les romans de Raymond Queneau ont caché une sombre et douloureuse conscience ; mais même alors la pitié, une certaine complicité humaine face à la secrète détresse, l'emportaient sur la misanthropie.

Du désastre comique et total du Chiendent émerge un débris de porte, et sur cette planche un nom est inscrit, un prénom de femme ; de cette absurde chasse au trésor ne subsiste, dérisoire et merveilleux, qu'un souvenir d'amour. Oui, même dans son "époque noire", l'oeuvre de Queneau choisit, pour lieux d'élection, la rue, la fête foraine, les noces et banquets, le cinéma, tous endroits où l'on rêve tous ensemble, où l'on partage les rêves de tous, où dans l'exaltation commune on échappe, pour un moment, à l'angoisse, au vertige existentiel. Parti de ce Havre bourgeois qui écrasait l'enfant poète qu'il était, Raymond Queneau nous conduit, de roman en roman, vers un havre où l'homme semble réconcilié avec la vie.

L'auteur de Un rude hiver nous a, d'ailleurs, renseignés sans ambiguïté sur la confiance qu'en fin de compte il témoigne à ses semblables ; il nous a renseignés d'une part avec ces paroles de Hegel, auxquelles il a précisément emprunté le titre de son roman le Dimanche de la Vie : "C'est le dimanche de la vie, qui nivelle tout et éloigne tout ce qui est mauvais ; des hommes doués d'une aussi bonne humeur ne peuvent être foncièrement mauvais ou vils" ; il nous a renseignés enfin par ses propres paroles : "Il importe, en effet, de savoir quelle forme le bonheur pourra prendre sur cette terre, et s'il y prendra forme." L'art admirable de Queneau aide ce bonheur incertain à prendre forme parmi nous, la forme d'un langage nouveau, d'une poésie nouvelle.. »

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