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Pierre REVERDY: La poésie n'est certainement pas dans les choses...

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La poésie n'est certainement pas dans les choses, autrement tout le monde l'y découvrirait aisément, comme tout le monde trouve si naturellement le bois dans l'arbre et l'eau dans la rivière ou l'océan. Il n'existe pas non plus, par conséquent, de choses ni de mots plus poétiques les uns que les autres, mais toutes choses peuvent devenir à l'aide des mots poésie, quand le poète parvient à mettre son empreinte dessus. La poésie n'est en rien ni nulle part, c'est pourquoi elle peut être mise en tout et partout. Mais rien ne s'opère sans une véritable transmutation des valeurs. Dans l'impuissance à la saisir, à l'identifier où que ce soit, on a préféré déclarer qu'elle régnait partout et qu'il suffisait de savoir l'y découvrir. Or, il est parfaitement évident qu'elle est plutôt une absence, un manque au coeur de l'homme, et, plus précisément, ce que le poète a le don de mettre à la place de cette absence, de ce manque. Et il n'y a poésie réelle que là où a été comblé ce vide qui ne pouvait absolument l'être par aucune autre activité ou matière réelle de la vie... ...Qu'est-ce que l'aurore ? Sujet poétique, éminemment. Non, pas plus que la nuit elle-même. L'aurore est le prélude au surgissement du soleil à l'horizon. C'est tout. Encore qu'elle constitue un des spectacles les plus émouvants que puisse offrir la nature, selon le lieu d'où l'on en est témoin, elle reste un phénomène d'ordre physique quotidien à la contemplation duquel très peu d'hommes d'ailleurs se soucient de sacrifier le moindre instant de leur sommeil. Mais quand le' poète a dit : l'aurore aux doigts de rose, là est intervenue la poésie. Là est la clé de toute l'opération poétique. La poésie est uniquement une opération de l'esprit du poète exprimant les accords de son être sensible au contact de la réalité. Entre le rose des doigts et les couleurs d'une aurore tout entière, il y a de la distance et de la marge, d'autant plus qu'aucune forme n'intervient comme soutien. Toutefois, rien ne nous empêche de voir aussi le soleil surgissant comme une main ou un éclatement de pétales de rose. Rien ne nous empêche, car le propre d'une image juste, grande et forte est de permettre et de susciter, de supporter tous les rapports que chacun y pourra découvrir et ajouter de sa propre source. Elle est elle-même source, nourrice de sources, pour ceux qui, bien entendu, ont de leur propre fonds quelque chose à ajouter... Non, il n'y a pas de poésie dans la nature, mais elle est le sceau particulier, l'empreinte indélébile que l'homme impose aux choses — une marque de fabrique suprême— un cachet de noblesse et de priorité. Pierre REVERDY

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