Peut-on dire que Verlaine est exclusivement lyrique ?
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Ce sujet amène à creuser la définition du lyrisme : cette tonalité, très présente au XIXe siècle, se caractérise par
l'expression d'une subjectivité tourmentée, l'identification de l'intériorité à des paysages naturels, un rythme
poétique qui évoque l'épanchement.
Il faut se demander ce que devient le lyrisme avec Verlaine, poète du XXe
siècle : sa poésie est en effet habitée par une tension entre classicisme (préciosité, vers réguliers et rimés) et
modernité (peinture de la ville, tonalité parfois ironique).
Ces traits de modernité sont-ils compatibles avec le lyrisme
?
I Des motifs propices à l'expression lyrique
_ Choisit des thèmes propices à l'expression lyrique : le souvenir et la rêverie (« Après trois ans », « Rossignol » et «
Le soleil du matin… » dans le recueil : « La bonne chanson ») ou bien sûr le motif du soleil couchant (« Soleils
couchants », « Promenade sentimentale » dans le recueil « Poèmes saturniens »).
Le terme même de « saturnien »,
qui se réfère à Saturne, la planète dont l'influence provoque la mélancolie, introduit ce thème très lyrique de la «
melancholia ».
La mort également : voir le poème « Promenade sentimentale » avec la mention du « linceul ».
_ dans la forme même : préfère l'emploi de la coordination « et » aux conjonctions de subordination.
Cela est
perceptible dans la plupart de ses poèmes, mais un bon exemple est « Mon rêve familier ».
Ce trait syntaxique est
caractéristique de la poésie lyrique : le choix du « et » donne l'impression d'
un souffle ininterrompu, d'une parole qui se laisse déborder par le sentiment.
II Mais un lyrisme mis distance par le poète lui-même
_ l'ironie : le poète choisit parfois des comparaisons ou des formules burlesques pour mettre à distance les
sentiments qu'il exprime :
« Vieux bonheurs, vieux malheurs, comme une file d'oies Sur la route en poussière où tous les pieds ont lui » (dans le
recueil « Sagesse ») la comparaison des bonheurs et des malheurs avec une file d'oie indique que ce lyrisme n'est
pas exempt d'ironie amère, qui porte sur la personne même du poète : il remet en question le lyrisme même, dans
une posture réflexive.
_ l'angoisse : voir le poème du même nom dans « Poèmes saturniens » : il y mêle les deux éléments qui mettent le
lyrisme à distance, le rire (« je ris »
répété) et l'angoisse.
La conjonction de ces deux éléments l'amène, dès la première strophe, à nier tout ce qui fait
l'objet de sa poésie lyrique : la nature, les champs, les levers et couchers de soleil.
L'amour est qualifié de « vieille
ironie ».
III Et mis en jeu par d'autres influences
_ Jeu avec la poésie précieuse dans le recueil « Les fêtes galantes » : dans « Mandoline », les prénoms sont dans
la pure tradition précieuse (Tircis, Aminte), les compliments aussi (« Votre âme est un paysage choisi ») ou l'
apostrophe galante à « Madame » dans « Lettre » avec la pointe finale du poème.
Ce recueil est dominé par une tension entre la tonalité légère induite par le thème précieux, et les accents
discordants introduits par le caractère artificiel, presque mécanique, des scènes décrites.Le poète ne dévoile pas
son intériorité aussi librement que dans les poèmes saturniens, cette poésie est plus « superficielle ».
_ Influence de Baudelaire : Baudelaire utilise beaucoup la forme contraignante du sonnet (qui est contraire à
l'épanchement lyrique ).
Dans « Sonnet boiteux », Verlaine reprend cette forme, mais la brise en faisant des vers de
13 pieds et en remplaçant les rimes embrassées par des rimes croisées.
Dans ce poème il fait aussi beaucoup appel
au thème de la ville (Londres, Soho) dans une perspective modernisante qui rappelle celle de Baudelaire, à son
époque.
_ Influence de Rimbaud : soit dans la satyre de la bourgeoisie (« Monsieur Prudhomme » : … « et le printemps en
fleurs sur ses pantoufles brille ») ce poème rappelle « A la musique » de Rimbaud, dans le recueil « Poésies ».
Soit dans la cohabitation d'images très prosaïques et d'expressions poétiques
: dans le poème « Chevaux de bois », le poète dit :
« Le gros soldat, la plus grosse bonne / Sont sur vos dos comme dans leur chambre » puis fait mention à la fin d'un
« ciel en velours ».
Les poèmes de Verlaine les plus connus sont emblématiques d'un certain lyrisme
: expression d'une intériorité, identification du poète avec les paysages extérieurs, ton de la plainte et de
l'épanchement.
Cependant ce lyrisme est parfois directement remis en question, par l'emploi d'une ironie amère ou
d'une comparaison surprenante qui introduisent des notes discordantes et réflexives dans le poème.
Il est aussi
associé à des tonalités diverses (précieuse, réaliste), sans jamais que disparaisse totalement la note subjective et
plaintive sur laquelle est fondée ce lyrisme..
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