Pénélope de Brassens
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Introduction
Sujet banal en apparence : soit une invitation à l'amour adressée à une femme vertueuse, mais pas très heureuse, soit un commentaire
ironique sur la vertu, qui n'est qu'apparence.
En choisissant Pénélope c o m m e héroïne, Brassens joue à la fois la difficulté e t la facilité.
Difficulté, parce que Pénélope entraîne tout un cortège culturel, littéraire.
Facilité, parce que mettre en cause la vertu de Pénélope, modèle
de toutes les vertus, en montrer, si l'on ose dire, les dessous, c'est mettre en cause la vertu de toutes les femmes et la valeur de toute une
conception de la vie.
Ce n'est pas tout : mettre en cause la vertu, cela peut se faire de manière dramatique, éloquente; mais cela peut se
faire aussi sur un mode léger, souriant, et la satire de l'ordre, des bons sentiments peut conduire aussi bien à l'idée de changer la vie qu'à
celle de s'en tenir, sans illusion, à l'ordre établi.
Bonne occasion de poser l'éternelle question : anarchisme ou transformation du monde?
Première partie : un exercice culturel
C o m m e u n e pièce de Giraudoux, comme un épisode d'Astérix, cette forme d'expression pourtant si « démocratique », de consommation
directe ou mondaine, en tout cas hors du circuit culturel habituel (l'école, la « littérature »), qu'est la chanson est loin d'être simple,
innocente.
Exercice intellectuel raffiné, elle manie l'allusion, le double sens, télescope les formules consacrées et n'est, en conséquence,
recevable que par le petit nombre.
Brassens fuit ici toute démagogie.
On peut se demander s'il ne tombe pas dans un élitisme contestataire
condamné à demeurer lettre morte pour un vaste public.
Conformément à toute une tradition française, Brassens écrit d'abord pour les gens
qui ont des lettres et pour ceux qui savent manier le langage.
C'est en ce sens que sa chanson est profondément littéraire.
1) L'héritage et les clichés mythologiques et légendaires
Brassens, conformément à toute une tradition (de la Belle Hélène d'Offenbach aux pièces de Giraudoux et de Cocteau) traite la mythologie
sur l e m o d e irrévérencieux de l'opérette et du canular.
Mais ce n'est pas pour retrouver dans les mythes et l e s l é g e n d e s une modernité
dramatique.
C'est pour y tourner en dérision les grandes leçons, et d'abord de morale, de la tradition culturelle.
Pénélope, les statues des
parcs et jardins, avec tout leur sérieux, virent au léger.
Dans quelle mesure est-ce humanisation? Dans quelle mesure est-ce réduction?
2) L'héritage religieux moderne
Même manière de procéder.
Ajouter ceci : c'est la tradition biblique la plus ancienne qui est ici chansonnée, avec en arrière-texte l'idée que
le péché — originel — fut sans doute quelque chose de bien agréable.
C'est pourquoi il devient aisément véniel.
Brassens montre que rien
ne lui est étranger, après la Bible, des règlements et subtilités de l'Église (péché mortel, péché véniel).
Manière discrète de suggérer que la
religion de la Pénélope de banlieue doit être fort légère? Brassens se propose en tous cas pour son confesseur...
Cette condamnation du
rigorisme, cependant, est-elle amour réel et profond de la vie ou superficielle « humanité »? On se sent un peu gêné devant ce qui pourrait
être une méconnaissance de tout ce que la vie peut avoir de sérieux ! Mais c'est par là, incontestablement, que le texte passe, réussit :
mettre la marguerite (celle qu'on effeuille, il, o u e l l e , a i m e un peu, beaucoup, pas du tout, passionnément, à la folie) au jardin potager
télescope une rengaine ou comptine populaire avec un souvenir possible de Madame Bovary (les rêves d'Emma, l'hiver, lorsqu'elle descend
dans son potager, dont les choux, couverts de fils de la vierge, contrastent avec ses rêves échevelés), en même temps que l'on est renvoyé
au jardinet réaliste de banlieue.
C'est bien le jeu des mots qui manifeste ici toute une réalité profondément culturelle.
Deuxième partie : une lecture poétique et démystificatrice de la vie
Une fois défini le code de Brassens, il faut voir ce qu'il vise.
1) La réalité et le scénario : voir plus haut; Les images de la respectabilité petite-bourgeoise : voir plus haut; De la fenêtre au lit.
2) Le charme du rêve : tout le texte légitime et comprend les « jolies pensées interlopes ».
Pénélope n'est pas très heureuse dans sa
médiocrité (sens originel de juste milieu), et qui se soucie d'elle? A-t-elle bercé des enfants? Le texte ne le dit pas, mais le verbe bercer est
réservé aux pensées involontaires auxquelles se complaît cette femme en qui est gommée la mère.
Ce que dit avec force le texte, c'est le
droit au bonheur, au plaisir, à l'imprévu, au charmant, à l'insolite.
Le potager, utilitaire, voit fleurir des marguerites (réservées aux platesbandes du devant de la maison).
Les cheveux bien soignés, par une femme qui a le temps de s'occuper d'elle-même, sont défaits, saisis,
dépeignés.
Le verger voit pousser sur ses branches des fruits défendus, que l'on cueille ou que l'on pourrait cueillir.
Les dentelles bien sages
sont chiffonnées.
La femme devenue frigide redevient sensuelle.
C'est tout l'univers pot-au-feu qui se défait, avec l'orgueil, la sécheresse de
cœur, les « moi, madame! » ou les « moi, ma fille! ».
La feuille de vigne arrachée couronne le mouvement : la Pénélope des rideaux est
nue, comme l'enfant de la claire fontaine.
Mais si Ulysse arrivait? Mais si Ulysse comprenait Pénélope?
Par là, le texte est profondément optimiste et en appelle à la jeunesse qui est en chacun.
A coup d'images inversées, à c o u p d e clichés
subvertis, à coup de rappels à l'ordre d u s e n s véritable des mots et des choses, le texte fait le procès de la mauvaise foi et des fauxsemblants.
Il décape les rôles, les attitudes, les anti-natures.
En face, il montre tout ce qui est frais, jeune, beau, et dont on a bien tort de
se priver.
Il soulève la trappe qui pèse sur tant de femmes et sur tant d'hommes.
Troisième partie : une morale finalement sceptique et pessimiste?
Pour autant le texte ne doit p a s abuser.
Car enfin, à quoi fait-il appel? A l'amour, au partage profond d'un sentiment? Non.
Au plaisir
passager, à la bagatelle, à l'amourette qui passe, à la fantaisie sans conséquence.
Le ton de l'ensemble est profondément irresponsable.
Mais il y a peut-être plus grave.
Cet appel au plaisir en effet s'accommode parfaitement du respect de l'ordre établi.
Cela de deux manières.
Ou bien Pénélope est invitée à écouter le tentateur, et on lui suggère que rien ne l'empêchera, ensuite, de retourner derrière ses rideaux.
Ou bien on lui dit clairement que ces tentations, ces pensées interlopes sont indispensables à son équilibre, à son acceptation de l'ordre et
du destin.
Sans cette soupape de sûreté du rêve, le système sauterait peut-être.
Le système a besoin...
du courrier du cœur, des bandes
dessinées pour adultes, d'Emmanuelle, des gens qui passent dans une vie, ou de cette chanson de Brassens.
C'est la rançon de Pénélope.
Plus qu'une leçon de charité (comprendre les tentations des gens), on peut voir là une leçon de conformisme anarchiste.
Pénélope rêve,
mais elle ne met rien en cause de sa condition de femme ni de la condition générale de l'humanité.
Peut-on objecter que le texte pourrait être lu ironiquement? Brassens dirait : voilà à quel prix le système tient ! C'est finalement affaire de
lecture.
Le sens est ouvert.
Pourtant il semble bien que, pour Brassens, Pénélope ait fait une erreur d'avoir cru en cette vie d'ordre...
Reste
que la poésie joue ici son rôle, comme toujours, de révélateur et c'est Sans, doute l'essentiel.
De la rêverie vague du début à la douce folie
érotique de la fin, il semble que Pénélope se soit laissée envahir par les images.
On pourrait dire aussi les fantasmes.
De cette invasion vat-il naître une nouvelle conscience? On n'est pas ici dans le registre d'une poésie assez sérieuse pour cela, et Pénélope n'est ni la jeune
Parque, ni la fileuse.
C'est qu'Ulysse va bientôt rentrer.
Il va mettre ses pantoufles, ouvrir son journal, peut-être apporter u n disque de
Brassens.
Tiens, tu connais celle-là?
Toi l'épouse modèle, le grillon du foyer...
Dis, chéri, c'était quoi la guerre de Troie?.
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