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Pénélope de Brassens

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Toi l'épouse modèle Le grillon du foyer Toi qui n'a point d'accrocs Dans ta robe de mariée Toi l'intraitable Pénélope En suivant ton petit Bonhomme de bonheur Ne berces-tu jamais En tout bien tout honneur De jolies pensées interlopes De jolies pensées interlopes... Derrière tes rideaux Dans ton juste milieu En attendant l'retour D'un Ulysse de banlieue Penchée sur tes travaux de toile Les soirs de vague à l'âme Et de mélancolie N'as tu jamais en rêve Au ciel d'un autre lit Compté de nouvelles étoiles Compté de nouvelles étoiles... N'as-tu jamais encore Appelé de tes vœux L'amourette qui passe Qui vous prend aux cheveux Qui vous compte des bagatelles Qui met la marguerite Au jardin potager La pomme défendue Aux branches du verger Et le désordre à vos dentelles Et le désordre à vos dentelles... N'as-tu jamais souhaité De revoir en chemin Cet ange, ce démon Qui son arc à la main Décoche des flèches malignes Qui rend leur chair de femme Aux plus froides statues Les bascul' de leur socle Bouscule leur vertu Arrache leur feuille de vigne Arrache leur feuille de vigne... N'aie crainte que le ciel Ne t'en tienne rigueur Il n'y a vraiment pas là De quoi fouetter un cœur Qui bat la campagne et galope C'est la faute commune Et le péché véniel C'est la face cachée De la lune de miel Et la rançon de Pénélope Et la rançon de Pénélope... Pénélope de Brassens

« Introduction Sujet banal en apparence : soit une invitation à l'amour adressée à une femme vertueuse, mais pas très heureuse, soit un commentaire ironique sur la vertu, qui n'est qu'apparence.

En choisissant Pénélope c o m m e héroïne, Brassens joue à la fois la difficulté e t la facilité. Difficulté, parce que Pénélope entraîne tout un cortège culturel, littéraire.

Facilité, parce que mettre en cause la vertu de Pénélope, modèle de toutes les vertus, en montrer, si l'on ose dire, les dessous, c'est mettre en cause la vertu de toutes les femmes et la valeur de toute une conception de la vie.

Ce n'est pas tout : mettre en cause la vertu, cela peut se faire de manière dramatique, éloquente; mais cela peut se faire aussi sur un mode léger, souriant, et la satire de l'ordre, des bons sentiments peut conduire aussi bien à l'idée de changer la vie qu'à celle de s'en tenir, sans illusion, à l'ordre établi.

Bonne occasion de poser l'éternelle question : anarchisme ou transformation du monde? Première partie : un exercice culturel C o m m e u n e pièce de Giraudoux, comme un épisode d'Astérix, cette forme d'expression pourtant si « démocratique », de consommation directe ou mondaine, en tout cas hors du circuit culturel habituel (l'école, la « littérature »), qu'est la chanson est loin d'être simple, innocente.

Exercice intellectuel raffiné, elle manie l'allusion, le double sens, télescope les formules consacrées et n'est, en conséquence, recevable que par le petit nombre.

Brassens fuit ici toute démagogie.

On peut se demander s'il ne tombe pas dans un élitisme contestataire condamné à demeurer lettre morte pour un vaste public.

Conformément à toute une tradition française, Brassens écrit d'abord pour les gens qui ont des lettres et pour ceux qui savent manier le langage.

C'est en ce sens que sa chanson est profondément littéraire. 1) L'héritage et les clichés mythologiques et légendaires Brassens, conformément à toute une tradition (de la Belle Hélène d'Offenbach aux pièces de Giraudoux et de Cocteau) traite la mythologie sur l e m o d e irrévérencieux de l'opérette et du canular.

Mais ce n'est pas pour retrouver dans les mythes et l e s l é g e n d e s une modernité dramatique.

C'est pour y tourner en dérision les grandes leçons, et d'abord de morale, de la tradition culturelle.

Pénélope, les statues des parcs et jardins, avec tout leur sérieux, virent au léger.

Dans quelle mesure est-ce humanisation? Dans quelle mesure est-ce réduction? 2) L'héritage religieux moderne Même manière de procéder.

Ajouter ceci : c'est la tradition biblique la plus ancienne qui est ici chansonnée, avec en arrière-texte l'idée que le péché — originel — fut sans doute quelque chose de bien agréable.

C'est pourquoi il devient aisément véniel.

Brassens montre que rien ne lui est étranger, après la Bible, des règlements et subtilités de l'Église (péché mortel, péché véniel).

Manière discrète de suggérer que la religion de la Pénélope de banlieue doit être fort légère? Brassens se propose en tous cas pour son confesseur...

Cette condamnation du rigorisme, cependant, est-elle amour réel et profond de la vie ou superficielle « humanité »? On se sent un peu gêné devant ce qui pourrait être une méconnaissance de tout ce que la vie peut avoir de sérieux ! Mais c'est par là, incontestablement, que le texte passe, réussit : mettre la marguerite (celle qu'on effeuille, il, o u e l l e , a i m e un peu, beaucoup, pas du tout, passionnément, à la folie) au jardin potager télescope une rengaine ou comptine populaire avec un souvenir possible de Madame Bovary (les rêves d'Emma, l'hiver, lorsqu'elle descend dans son potager, dont les choux, couverts de fils de la vierge, contrastent avec ses rêves échevelés), en même temps que l'on est renvoyé au jardinet réaliste de banlieue.

C'est bien le jeu des mots qui manifeste ici toute une réalité profondément culturelle. Deuxième partie : une lecture poétique et démystificatrice de la vie Une fois défini le code de Brassens, il faut voir ce qu'il vise. 1) La réalité et le scénario : voir plus haut; Les images de la respectabilité petite-bourgeoise : voir plus haut; De la fenêtre au lit. 2) Le charme du rêve : tout le texte légitime et comprend les « jolies pensées interlopes ».

Pénélope n'est pas très heureuse dans sa médiocrité (sens originel de juste milieu), et qui se soucie d'elle? A-t-elle bercé des enfants? Le texte ne le dit pas, mais le verbe bercer est réservé aux pensées involontaires auxquelles se complaît cette femme en qui est gommée la mère.

Ce que dit avec force le texte, c'est le droit au bonheur, au plaisir, à l'imprévu, au charmant, à l'insolite.

Le potager, utilitaire, voit fleurir des marguerites (réservées aux platesbandes du devant de la maison).

Les cheveux bien soignés, par une femme qui a le temps de s'occuper d'elle-même, sont défaits, saisis, dépeignés.

Le verger voit pousser sur ses branches des fruits défendus, que l'on cueille ou que l'on pourrait cueillir.

Les dentelles bien sages sont chiffonnées.

La femme devenue frigide redevient sensuelle.

C'est tout l'univers pot-au-feu qui se défait, avec l'orgueil, la sécheresse de cœur, les « moi, madame! » ou les « moi, ma fille! ».

La feuille de vigne arrachée couronne le mouvement : la Pénélope des rideaux est nue, comme l'enfant de la claire fontaine.

Mais si Ulysse arrivait? Mais si Ulysse comprenait Pénélope? Par là, le texte est profondément optimiste et en appelle à la jeunesse qui est en chacun.

A coup d'images inversées, à c o u p d e clichés subvertis, à coup de rappels à l'ordre d u s e n s véritable des mots et des choses, le texte fait le procès de la mauvaise foi et des fauxsemblants.

Il décape les rôles, les attitudes, les anti-natures.

En face, il montre tout ce qui est frais, jeune, beau, et dont on a bien tort de se priver.

Il soulève la trappe qui pèse sur tant de femmes et sur tant d'hommes. Troisième partie : une morale finalement sceptique et pessimiste? Pour autant le texte ne doit p a s abuser.

Car enfin, à quoi fait-il appel? A l'amour, au partage profond d'un sentiment? Non.

Au plaisir passager, à la bagatelle, à l'amourette qui passe, à la fantaisie sans conséquence.

Le ton de l'ensemble est profondément irresponsable. Mais il y a peut-être plus grave.

Cet appel au plaisir en effet s'accommode parfaitement du respect de l'ordre établi.

Cela de deux manières. Ou bien Pénélope est invitée à écouter le tentateur, et on lui suggère que rien ne l'empêchera, ensuite, de retourner derrière ses rideaux. Ou bien on lui dit clairement que ces tentations, ces pensées interlopes sont indispensables à son équilibre, à son acceptation de l'ordre et du destin.

Sans cette soupape de sûreté du rêve, le système sauterait peut-être.

Le système a besoin...

du courrier du cœur, des bandes dessinées pour adultes, d'Emmanuelle, des gens qui passent dans une vie, ou de cette chanson de Brassens.

C'est la rançon de Pénélope. Plus qu'une leçon de charité (comprendre les tentations des gens), on peut voir là une leçon de conformisme anarchiste.

Pénélope rêve, mais elle ne met rien en cause de sa condition de femme ni de la condition générale de l'humanité. Peut-on objecter que le texte pourrait être lu ironiquement? Brassens dirait : voilà à quel prix le système tient ! C'est finalement affaire de lecture.

Le sens est ouvert.

Pourtant il semble bien que, pour Brassens, Pénélope ait fait une erreur d'avoir cru en cette vie d'ordre...

Reste que la poésie joue ici son rôle, comme toujours, de révélateur et c'est Sans, doute l'essentiel.

De la rêverie vague du début à la douce folie érotique de la fin, il semble que Pénélope se soit laissée envahir par les images.

On pourrait dire aussi les fantasmes.

De cette invasion vat-il naître une nouvelle conscience? On n'est pas ici dans le registre d'une poésie assez sérieuse pour cela, et Pénélope n'est ni la jeune Parque, ni la fileuse.

C'est qu'Ulysse va bientôt rentrer.

Il va mettre ses pantoufles, ouvrir son journal, peut-être apporter u n disque de Brassens.

Tiens, tu connais celle-là? Toi l'épouse modèle, le grillon du foyer... Dis, chéri, c'était quoi la guerre de Troie?. »

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