Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Jadis et naguère) - La soupe du soir
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                    Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Jadis et naguère) - La soupe du soir À J.-K. Huysmans. Il fait nuit dans la chambre étroite et froide où l'homme  Vient de rentrer, couvert de neige, en blouse, et comme  Depuis trois jours il n'a pas prononcé deux mots,  La femme a peur et fait des signes aux marmots. Un seul lit, un bahut disloqué, quatre chaises,  Des rideaux jadis blancs conchiés des punaises,  Une table qui va s'écroulant d'un côté, - Le tout navrant avec un air de saleté. L'homme, grand front, grands yeux pleins d'une sombre flamme A vraiment des lueurs d'intelligence et d'âme  Et c'est ce qu'on appelle un solide garçon.  La femme, jeune encore, est belle à sa façon. Mais la Misère a mis sur eux sa main funeste,  Et perdant par degrés rapides ce qui reste  En eux de tristement vénérable et d'humain,  Ce seront la femelle et le mâle, demain. Tous se sont attablés pour manger de la soupe  Et du boeuf, et ce tas sordide forme un groupe  Dont l'ombre à l'infini s'allonge tout autour  De la chambre, la lampe étant sans abat-jour. Les enfants sont petits et pâles, mais robustes  En dépit des maigreurs saillantes de leurs bustes  Qui disent les hivers passés sans feu souvent  Et les étés subis dans un air étouffant. Non loin d'un vieux fusil rouillé qu'un clou supporte  Et que la lampe fait luire d'étrange sorte,  Quelqu'un qui chercherait longtemps dans ce retrait  Avec l'oeil d'un agent de police verrait Empilés dans le fond de la boiteuse armoire,  Quelques livres poudreux de " science " et d' " histoire " , N, Et sous le matelas, cachés avec grand soin,  Des romans capiteux cornés à chaque coin. Ils mangent cependant. L'homme, morne et farouche,  Porte la nourriture écoeurante à sa bouche  D'un air qui n'est rien moins nonobstant que soumis,  Et son eustache semble à d'autres soins promis. La femme pense à quelque ancienne compagne, Laquelle a tout, voiture et maison de campagne, Tandis que les enfants, leurs poings dans leurs yeux clos, Ronflant sur leur assiette imitent des sanglots.
                
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