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Ovide

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Je vais peut-être donner la preuve d'un goût déformé : dans l'œuvre d'Ovide, les Fastes sont, je crois, le morceau le plus puissant, le plus habile, le plus sincère. Pensum ? On le dit. Mais les élèves bien doués engagent vite leur cœur et leur tête dans la dissertation supplémentaire qui paye quelque chahut. A quarante ans, l'élève Ovide avait, au gré du maître, trop bien parlé d'amour. Il répare. C'est à chanter les grandeurs et les traditions de Rome qu'il se consacre, coulées dans la forme commode du calendrier : un chant pour chaque mois. Seulement la catastrophe de sa vie le dispensera des six derniers. Ce Romain léger, mais non sceptique, sans ambition que de gloire mondaine, mais sensible aux vertus qui ont conquis l'univers, plein de gratitude envers le régime qui rend possibles des plaisirs qu'il croit assurés, cet esprit lettré, curieux, apporte au service de son dessein, pour tous les jours de fête, pour tous les anniversaires nationaux, pour les légendes de la Ville, un mélange ravissant de science, de critique, de tendresse, d'enthousiasme, d'enjouement. Relisez, au chant d'Avril, la fête pastorale de Palès avec sa touchante invocation, avec son arrière-fond mythique ­ la Ville naissante, le fossé, Rémus tué, la douleur de Romulus. "Si j'ai mené mes troupeaux sur une terre sainte, si je me suis assis sous un arbre saint, si mes moutons ignorants ont brouté sur des tombeaux, si je suis entré dans un bosquet interdit et si mes regards ont mis en fuite les Nymphes ou le dieu aux pieds de bouc, si ma serpe a ravi l'épais feuillage d'un bois sacré pour donner une couche fraîche à la brebis malade, pardonne ma faute. Et ne me fais pas grief si, pendant qu'il grêlait, j'ai pris une chapelle champêtre pour abriter mon troupeau..."

« Ovide Je vais peut-être donner la preuve d'un goût déformé : dans l'oeuvre d'Ovide, les Fastes sont, je crois, le morceau le plus puissant, le plus habile, le plus sincère.

Pensum ? On le dit.

Mais les élèves bien doués engagent vite leur coeur et leur tête dans la dissertation supplémentaire qui paye quelque chahut.

A quarante ans, l'élève Ovide avait, au gré du maître, trop bien parlé d'amour.

Il répare.

C'est à chanter les grandeurs et les traditions de Rome qu'il se consacre, coulées dans la forme commode du calendrier : un chant pour chaque mois.

Seulement la catastrophe de sa vie le dispensera des six derniers. Ce Romain léger, mais non sceptique, sans ambition que de gloire mondaine, mais sensible aux vertus qui ont conquis l'univers, plein de gratitude envers le régime qui rend possibles des plaisirs qu'il croit assurés, cet esprit lettré, curieux, apporte au service de son dessein, pour tous les jours de fête, pour tous les anniversaires nationaux, pour les légendes de la V ille, un mélange ravissant de science, de critique, de tendresse, d'enthousiasme, d'enjouement. Relisez, au chant d'Avril, la fête pastorale de Palès avec sa touchante invocation, avec son arrière-fond mythique la V ille naissante, le fossé, Rémus tué, la douleur de Romulus. "Si j'ai mené mes troupeaux sur une terre sainte, si je me suis assis sous un arbre saint, si mes moutons ignorants ont brouté sur des tombeaux, si je suis entré dans un bosquet interdit et si mes regards ont mis en fuite les Nymphes ou le dieu aux pieds de bouc, si ma serpe a ravi l'épais feuillage d'un bois sacré pour donner une couche fraîche à la brebis malade, pardonne ma faute.

Et ne me fais pas grief si, pendant qu'il grêlait, j'ai pris une chapelle champêtre pour abriter mon troupeau..." A peine avons-nous savouré l'églogue que retentit, d'un autre ton, une autre prière, celle qu'au début des temps cria Romulus : Vox fuit haec regis : C ondenti, Juppiter, Urbem et genitor Mavors, V estaque mater, ades... Malgré de belles pages, on eût volontiers abandonné aux rongeurs les quinze livres des Métamorphoses, mais on se console mal que la sévérité du prince nous ait dépouillé de tout ce que le gracieux archéologue eût rythmé sur les fêtes de Juillet, sur le nom d'Août, sur le cheval d'Octobre, sur les Saturnales d'hiver. Folle jeunesse ? Non : il ne perdait pas la tête.

Il s'amusait.

Il appartenait à cette bourgeoisie aisée qui, au lendemain des crises et des guerres, goûte la vie à pleines journées : pensons au Paris du second Empire ou même, hélas ! de 1920.

Ovide est né un an après le meurtre de C ésar.

Quand il achève ses classes, Auguste est le vainqueur, le restaurateur incontesté.

Une génération d'incomparables poètes a déjà poli le rude instrument des Ennius et des Lucrèce.

Quand il publiera ses premiers essais Les Amours Virgile, Tibulle, le jeune Properce même seront tout près de leur fin.

Il prendra naturellement leur place auprès d'un public qui a besoin d'applaudir.

Il sera poussé dans le sens de son talent et de ses défauts.

Mais perdre la tête, non pas, ou tout juste ce qu'il faut pour soutenir un art fondé sur les amours.

Son point faible n'est-il pas de n'avoir aimé personne plus que son plaisir, ni Corinne (si elle a vraiment existé), ni sa femme, après la terrible séparation qui aurait pu émouvoir en lui des puissances nouvelles ? Mais prenons-le comme il est, charmant d'esprit et de variété.

Et quelle maîtrise du distique, quelle mesure dans la virtuosité ! Pourquoi dit-on du mal de ces épîtres d'amoureux et d'amoureuses mythologiques qui constituent les Héroïdes ? On y lit une lettre de Médée à Jason qui vaut bien les "Médée" du répertoire et presque celle des A rgonautiques à qui V irgile doit les plus beaux traits de sa Didon.

C'est la jeune fille séduite par les propos, par les larmes de l'aventurier : vidi etiam lacrimas : an pars est fraudis in illis ? C'est la jeune fille riche qui a tout trahi, tout gaspillé pour l'homme de sa passion, et qui se voit traiter en jeune fille pauvre : "Tu demandes où est ma dot ? Nous l'avons comptée sur la plaine qu'il te fallait labourer pour enlever la Toison.

C e bélier d'or étincelant d'une laine d'or, voilà ma dot.

Ma dot ? C'est ta vie, c'est la jeunesse grecque que j'ai sauvées..." Et la femme abandonnée sent remuer en elle, comme un enfant, l'idée d'une terrible vengeance : nescio quid certe mens mea majus agit... Évidemment, L'Art d'Aimer est un peu leste.

Qui dira sans rire, en notre siècle, que c'est un vice impardonnable ? Les analyses sont lucides, et la désinvolture bien élégante, dans ce corset du distique où notre poète n'est jamais à l'étroit comme le furent parfois Properce et Tibulle.

Profitez du C irque, messieurs les amoureux : "Ne manque pas d'assister aux concours des nobles chevaux : le Cirque, avec son immense cohue, donne bien des facilités.

Point n'est besoin de faire parler tes mains pour dire tes secrets, ni de guetter les signes de tête qui leur répondent.

A ssieds-toi près de ta belle, que ta hanche touche sa hanche, là, le plus près possible : nul ne t'en empêche.

La barrière, par bonheur, t'oblige à te serrer contre elle et la force à te laisser faire. Cherche une entrée en matière, parle d'abord de choses générales, demande-lui, d'un air passionné, de quelles écuries viennent les chevaux et, sans hésiter, mise sur le même cheval qu'elle..." Il est clair que ces gracieux embarquements pour C ythère ne préparaient pas à Auguste les Cincinnatus qu'il rêvait.

Il fronça les sourcils, mais les Fastes réparèrent le dommage.

Dès longtemps introduit dans la familiarité du palais, Ovide ne connut pas la disgrâce. Soudain, en la huitième année de notre ère, ce ne fut pas la disgrâce, mais la déportation.

On a beaucoup écrit sur les causes de l'exil d'Ovide et l'explication la plus probable reste celle qu'a imaginée Gaston Boissier.

Auprès des princesses, fort émancipées, l'auteur de L'Art d'A imer dut être un conseiller précieux, un intendant sollicité.

Il y eut scandale.

Auguste qui, dix ans plus tôt, n'avait pas hésité à exiler sa chère Julie, chassa Ovide au bout du monde et ne le rappela jamais.

On connaît les demi-aveux du second et du troisième livre des Tristes : "C et exil, je ne le dois qu'à ma naïveté...

C'est parce que mes regards, innocemment, ont vu un crime, que je suis puni, et mon péché n'est que d'avoir eu des yeux..." Certains ont pensé à quelque secret d'État surpris.

Oui, si les amours de la seconde Julie, aussi ardente que sa mère, étaient des secrets d'État : en même temps qu'Ovide, quinquagénaire, partait pour les bouches du Danube, Julie fut reléguée dans une ville d'Italie.

Elle devait y rester vingt ans.

Elle avait trop avidement chéri le jeune Silanus. Du bateau qui l'éloignait de Rome, puis de la bourgade sarmate où il ne végéta, lui, que dix ans, il écrivit, en forme d'élégies et de lettres, une longue plainte qui emplit deux recueils, les Tristes et les Pontiques.

On les a jugés diversement.

Ils sont en tout cas émouvants : c'est un être faible qui gémit, faible et égoïste, un vieil enfant gâté, mais sincère, que l'infortune ronge sans le sculpter et qui, certes, ne nous donne pas la "Ballade de sa Geôle".

Il adule même le prince qui l'a frappé ? Mais il n'a jamais été un opposant, il a toujours admiré le nouveau régime, c'est un malentendu : il espère, il supplie ses amis (ceux qui lui restent), il supplie sa femme d'expliquer et surtout, par tous les moyens, de fléchir.

Jusqu'au jour amer où il comprendra que l'appel est vain et, sans se résigner, se verra mourir.. »

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