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Napoléon Bonaparte : Lettre à Joséphine (1796)

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Napoléon Bonaparte : Lettre à Joséphine (1796) [Le 9 mars 1796, Napoléon Bonaparte épouse Joséphine de Beauharnais, veuve d'un général dont elle avait eu deux enfants (Eugène et Hortense). Il a 27 ans, elle en a 33. Mais, nommé à la tête de l'armée d'Italie, Napoléon doit écourter sa lune de miel pour rejoindre son affectation. Il est à Nice, à la veille de la campagne d'Italie, lorsqu'il écrit à la hâte cette lettre à sa femme.] Nice, le 10 germinal, an IV1. Je n'ai pas passé un jour sans t'aimer, je n'ai pas passé une nuit sans te serrer dans mes bras; je n'ai pas pris une tasse de thé sans maudire la gloire et l'ambition qui me tiennent éloigné de l'âme de ma vie. Au milieu des affaires, à la tête des troupes, en parcourant les camps, mon adorable Joséphine est seule dans mon coeur, occupe mon esprit, absorbe ma pensée. Si je m'éloigne de toi avec la vitesse du torrent du Rhône, c'est pour te revoir plus vite. Si au milieu de la nuit je me lève pour travailler, c'est que cela peut avancer de quelques jours l'arrivée de ma douce amie et cependant dans ta lettre du 23, du 26 ventôse2, tu me traites de vous3. Vous toi-même ! Ah ! mauvaise, comment as-tu pu écrire cette lettre ! Qu'elle est froide ! Et puis du 23 au 26 restent quatre jours; qu'as-tu fait, puisque tu n'as pas écrit à ton mari ?... Ah ! mon amie, ce vous et ces quatre jours me font regretter mon antique indifférence. Malheur à qui en serait la cause ! Puisse-t-il pour peine et pour supplice éprouver ce que la conviction et l'évidence (qui servit ton ami) me feraient éprouver ! L'Enfer n'a pas de supplices ! Ni les Furies de serpents ! Vous ! Vous ! Ah ! que sera-ce dans quinze jours ?... Mon âme est triste; mon coeur est esclave, et mon imagination m'effraie. Tu m'aimes moins, tu seras consolée. Un jour tu ne m'aimeras plus; dis-le-moi ; je saurai au moins mériter le malheur... Adieu, femme, tourment, bonheur, espérance et âme de ma vie, que j'aime, que je crains, qui m'inspire des sentiments tendres qui m'appellent à la Nature, et des mouvements impétueux aussi volcaniques que le tonnerre. Je ne te demande ni amour éternel, ni fidélité, mais seulement... vérité, franchise sans bornes. Le jour où tu diras « je t'aime moins » sera le dernier de mon amour ou le dernier de ma vie. Si mon coeur était assez vil pour aimer sans retour, je le hacherais avec les dents. Joséphine, Joséphine ! Souviens-toi de ce que je t'ai dit quelquefois : la Nature m'a fait l'âme forte et décidée. Elle t'a bâtie de dentelle et de gaze. As-tu cessé de m'aimer ? Pardon, âme de ma vie, mon âme est tendue sur de vastes combinaisons. Mon coeur, entièrement occupé par toi, a des craintes qui me rendent malheureux... Je suis ennuyé de ne pas t'appeler par ton nom. J'attends que tu me l'écrives. Adieu ! Ah ! Si tu m'aimes moins, tu ne m'auras jamais aimé. Je serais alors bien à plaindre. BONAPARTE PS : La guerre, cette année, n'est plus reconnaissable. J'ai fait donner de la viande, du pain, des fourrages; ma cavalerie armée marchera bientôt. Mes soldats me marquent une confiance qui ne s'exprime pas; toi seule me chagrines; toi seule, le plaisir et le tourment de ma vie. Un baiser à tes enfants dont tu ne parles pas ! Pardi ! Cela allongerait tes lettres de moitié. Les visiteurs, à dix heures du matin, n'auraient pas le plaisir de te voir. Femme !!! 1. 31 mars 1796. 2. Ventôse : sixième mois du calendrier républicain. 23-26 ventôse : 13,16 mars. Joséphine avait commencé sa lettre le 13, et l'avait achevée le 16. 3. Joséphine a vouvoyé Bonaparte dans sa dernière lettre.

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