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Molinistes et jansénistes

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Le molinisme trouve une suffisante justification dans la réussite politique et religieuse qui fut la sienne, preuve péremptoire de sa parfaite adéquation à l'évolution des mentalités. L'éthique moliniste décrète que tout le monde a la Grâce. Nous entrons du même coup dans l'ère de Monsieur Tout-le-Monde qui a toujours raison. La conséquence directe du libéralisme moliniste se lit dans le développement sans précédent et la vulgarisation de la théologie morale, sous le nom de casuistique. Des chaires de cas de conscience sont créées à la faculté de Théologie de Paris en 1612, 1616, 1626, pour former des spécialistes répondant à la demande massive du public. Le terrain est occupé, non moins massivement, par les jésuites.

« Molinistes et jansénistes Aujourd'hui oublié, le problème de la Grâce est probablement la clef de la littérature du XVIIe siècle.

C'est en tout cas le débat intellectuel du siècle.

Au coeur de cette période, entre 1643 et 1645, cent titres d'ouvrages sur la Grâce sont édités. En réaffirmant une stricte prédestination, la Réforme suscita dans le catholicisme un extrémisme inverse.

La Compagnie de Jésus, créée pour oeuvrer à reconquérir les esprits, lance, avec sa conception du libre arbitre, une machine de guerre qui va pulvériser la pesante hypothèque divine du salut et doter l'Européen moderne d'une religion qui laisse le champ libre aux appétits de pouvoir, de savoir, de jouissance que lui offre la conjoncture historique.

Les thèses ultra-libérales de Molina sur l'accord entre Dieu et l'homme paraissent dans le De concordia en 1588.

Elles rencontrent dans l'Église de très sérieuses oppositions mais aucune contre-offensive d'envergure avant l'Augustinus de Jansénius en 1640. Le molinisme trouve une suffisante justification dans la réussite politique et religieuse qui fut la sienne, preuve péremptoire de sa parfaite adéquation à l'évolution des mentalités.

L'éthique moliniste décrète que tout le monde a la Grâce.

Nous entrons du même coup dans l'ère de Monsieur Tout-le-Monde qui a toujours raison.

La conséquence directe du libéralisme moliniste se lit dans le développement sans précédent et la vulgarisation de la théologie morale, sous le nom de casuistique.

Des chaires de cas de conscience sont créées à la faculté de Théologie de Paris en 1612, 1616, 1626, pour former des spécialistes répondant à la demande massive du public.

Le terrain est occupé, non moins massivement, par les jésuites.

Phénomène de masse, la direction de conscience est d'abord un phénomène de pouvoir.

Pendant tout le siècle, des jésuites sont les confesseurs des rois.

Ils comptent dans leurs rangs des vedettes de la vie mondaine.

Il ne faut pas confondre cette massification de la religion avec une religion populaire.

La culture populaire est produite par le peuple, la culture de masse est produite, pour la majorité, par des spécialistes.

La Somme des péchés du père Bauny, publiée en 1630 en français, connaît dix éditions jusqu'à sa triple condamnation par la Sorbonne, par l'assemblée du clergé et par Rome, entre 1640 et 1644.

La rapide dégénérescence laxiste de la casuistique est en effet un des scandales du siècle, qui sert surtout à nourrir la verve des pamphlétaires, comme Pascal dans les Provinciales, sans freiner le moins du monde la vogue de la casuistique, au contraire.

Le fameux Escobar, qui est un compilateur de tous les casuistes précédents, publie la quintessence du genre, de 1652 à 1663 à Lyon.

Derrière la permissivité, très réelle, se devine surtout le portrait d'une société.

La sainteté est pour l'homme du XVIIIe siècle ce que la santé est pour celui du ,c,( siècle finissant, une préoccupation obsessionnelle.

La casuistique en est le placebo à la portée de tout le monde. La Grâce augustinienne est à l'opposé de la facilité mais, bizarrement, le jansénisme tire son prestige de ses échecs et de la lutte minoritaire qu'il mena.

Une famille exceptionnelle — les Arnauld —, un couvent de femmes exceptionnel — PortRoyal —, un groupe d'ecclésiastiques et d'intellectuels exceptionnels — Saint-Cyran, Nicole, Pascal, Quesnel —, constituent, dans leur superbe isolement, le pôle de négativité dialectique de toute une époque, d'où jaillit l'étincelle spirituelle qui fait du XVIIe siècle un siècle d'exception. Croyant en finir avec le jansénisme en obtenant la condamnation d'Antoine Arnauld et son exclusion du corps des Docteurs de la Sorbonne à l'issue du procès qui lui est intenté en 1656, le molinisme voit son machiavélisme et sa mauvaise foi cloués au pilori pour la postérité par le plus insupportable et le plus surprenant des livres : les Provinciales (1656-1657), triomphe intellectuel d'une cause perdue.

Pascal parachève avec les Écrits sur la Grâce (1657) un exposé de la doctrine janséniste qui constitue le plus inépuisable sujet de réflexion et de commentaire sur cette question controversée : Quel est exactement le pouvoir de l'homme ? « On sait, dit Pascal, qu'il est possible qu'un homme vive soixante ans, et que cependant il n'est au pouvoir de personne, non seulement d'arriver à cet âge, mais de s'assurer d'un instant de vie » (Neuvième Écrit sur la Grâce).

C'est ce « possible impossible » qui déchaîne contre le jansénisme les foudres de l'autorité.

On peut construire un ordre sur la négation de l'homme comme sur son affirmation, on ne peut rien construire sur le gouffre de l'entre-deux, on ne peut que discourir à l'infini.

À ces défenseurs des droits de l'esprit, l'Église imposa un test d'orthodoxie cruellement stupide : la signature de la condamnation de propositions censées résumer le contenu de la doctrine de Jansenius mais rédigées par Nicolas Cornet, chef de la cabale anti-janséniste à la Sorbonne.

La question était dès lors entendue.

Pascal écrit : « La force est la reine du monde » (Pensées, 477, éd.

Le Guern) et meurt en 1662, après avoir dit son opposition à la signature.

Arnauld et Nicole tâcheront de composer par la distinction du fait et du droit, qui triomphera momentanément et assurera la paix de l'Église pendant une dizaine d'années de 1668 à 1678. Puis la fin du siècle n'est plus qu'exil ou emprisonnement pour Arnauld, Sacy et Quesnel, soumission pour Nicole, interdiction de recruter pour les religieuses, enfin destruction du couvent. Peu importent les péripéties : l'histoire de Port-Royal, archétype de la conscience subversive, aussi actif que le mythe d'Antigone, s'inscrit entre deux scènes.

Le 25 septembre 1609, l'abbesse Angélique Arnauld, âgée de dix-huit ans, « songe sérieusement à satisfaire à Dieu plutôt qu'à son père » et interdit à ce dernier, « qui ne voulait en aucune façon subir cette loi », l'entrée de son couvent.

« Il ne se put jamais imaginer que j'eusse cette hardiesse », dit-elle dans son autobiographie, relatant la fameuse « journée du guichet ».

Le 29 octobre 1709, le lieutenant de police d'Argenson, porteur de vingt-deux lettres de cachet, investit le couvent avec trois cents archers et conduit les vingt-deux religieuses qui s'y trouvent, la plupart octogénaires, certaines impotentes sur des civières, dans vingt-deux maisons différentes, mettant fin au trouble apporté à l'ordre public par le refus de la signature.

Le jansénisme peut irriter par son nonconformisme anarchisant, parce qu'il est résolument anti-autoritaire et essentiellement objecteur de conscience, mais on ne peut à la fois mettre sa logique entre parenthèses et souligner sa fécondité sur le plan de la création intellectuelle, parce que l'une et l'autre sont inséparables.

La décisive et fameuse clarification qui marque la littérature dans la seconde moitié du siècle est tout entière dans la mouvance janséniste.

La simple revendication d'une logique du sens remonétise puissamment le langage.

Mais l'application d'une telle loi demande du « sérieux » et de la « hardiesse ».

Car il faut avoir le courage de ses opinions.. »

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