MAURICE SCÈVE
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Longtemps jugé « à peu près illisible » (Sainte-Beuve), Maurice Scève a été l'auteur injustement réduit à une seule œuvre, la Délie, de nos jours considérée comme l'un des diamants poétiques du XVIe siècle. Non plus obscur, mais dense, dignifié par l'épithète de « mallarméen », le prétendu chef de l'« école » lyonnaise ne signa jamais ses livres, sinon de devises plurivalentes comme « souffrir non souffrir ».
Du Petit Oeuvre... au Microcosme
Sa vie est une alternance d'ombres et de clartés, partagée entre des périodes de retraite et une présence mondaine reconnue. On sait qu'il est de naissance noble, et qu'il a pu contempler dans son enfance, à Ecully près de Lyon, une maison peinte d'emblèmes plus ou moins transposés dans la Délie. Il a fréquenté le cercle littéraire de son cousin Guillaume Scève, et surtout celui de Dolet qui n'a pas encore abandonné son désir d'école néolatine française. En tant que lyonnais, Scève est pénétré de la culture italienne et de sa thématique amoureuse, lue dans Léon L'Hébreu et Speroni. Son pétrarquisme serait conforté par sa « découverte » du tombeau présumé de Laure en Avignon. Pourtant, sa première oeuvre est narrative : il livre en 1535 une traduction de la Déplourable fin de Flamette de Juan de Flores (1497), développement romanes-que d'une élégie de Boccace. Scève accentue l'aspect sentimental et psychologique, comme il témoigne de la disparition de l'idéal courtois au profit d'une « gloire » plus individualiste ; l'aventure à l'espagnole se teinte d'un donjuanisme cynique : « Nulle ne peut être longtemps belle, que par longtemps continuée, ne soit fâcheuse » (chap. 16). Cet exercice est complété dans les années 1536- 1539, par des « blasons » inspirés du genre marotique mais qui ne doivent, dans leur esprit, rien à Marot : « la Larme », « le Front », « la Gorge », « le Soupir » et surtout « le Sourcil », le plus remarqué, s'attardent peu sur l'anatomie et explorent plus volontiers les beautés idéelles du « microcosme » féminin Une autre occasion d'utiliser les ressources des rhétoriqueurs lui est offerte avec le Tombeau collectif du Dauphin (1536), pour lequel Scève compose de beaux poèmes latins et surtout une églogue, Arion, déjà dans le goût classique malgré la forme héritée de Lemaire. Vers cette époque, il rencontre l'inspiratrice principale de là Délie, Pernette du Guillet, probablement son élève en matière de poésie. Le Petit Oeuvre d'amour paru en 1538 montre l'existence de plusieurs femmes aimées et surtout révèle la manière dont Scève travaille les classiques : ces poèmes qui sont des adaptations, des imitations et des traductions vont dans le sens d'une simplification allusive. Maurice Scève participe ensuite à l'organisation de plusieurs fêtes avant de s'isoler à l'île-Barbe : Pernette s'est mariée et le poète termine la Délie (1544) qui, bien qu'elle soit très attendue dans le milieu lyonnais, ne provoque guère de remous. Cet accueil mitigé, où s'expriment déjà des reproches d'obscurité, prolonge la retraite de Scève, et correspond à une période d'anti-mondanité. Il écrit alors la Saulsaye (1547), églogue justifiant le droit à la solitude, tout en s'inspirant de Sannazar et de Marguerite de Navarre : il y raconte aussi bien que Ronsard « les rocs moussus, les cavernes humides », plante un décor simple et déploie un style aimable. Revenu au monde avec son rôle actif dans l'entrée de Henri II à Lyon en 1548, il poursuit les rêves emblématiques de la Délie dans les tableaux vivants qui jalonnent le parcours royal. On y retrouve la même ambivalence de jeu et de sérieux qui clôt le temps de l'esprit festif. Scève continue à fréquenter les cercles littéraires, apparaît sans doute chez Louise Labé, dont il fait l'éloge, mais son véritable disciple est plutôt Claude de Taillemont, et sa véritable « académie », le château de Pontus de Tyard : c'est dans cette atmosphère savante et encyclopédiste que mûrit le projet du Microcosme. Chez Dolet déjà, Scève avait pu approfondir l'idée de l'Homme en marche vers le Progrès ; enfin, quand la nécessité de tout dire s'impose, le poète compose cette oeuvre ultime (entre 1557 et 1560). Le texte fait le récit des premiers temps jusqu'au meurtre d'Abel par Caïn, décrit le rêve d'Adam, projeté sur les siècles des futures inventions, et montre les réalisations humaines de connaissance en connaissance. L'ensemble est plus personnel que les productions postérieures de la poésie scientifique (Baïf, Du Bartas), bien qu'il n'évite pas le didactisme. L'Histoire est retrouvée par Scève, mais seulement jusqu'à la Rédemption, laissant la Renaissance dans un silence analogique : Adam, personnage central, est l'homme éternel plus que le premier pécheur. Reprenant une tradition patristique mais aussi kabbaliste, l'auteur fait du premier homme l'inventeur par excellence et le Philosophe. En lui, le manque initial, en lui, les rêves de reconstruction et les plénitudes du savoir. La poétique s'accommode d'une imagination maîtrisée, sans trop de développements explicatifs et sans théologie. Parfois, une formule rappelle Délie : « Masse de déité en soi-même amassée... » (v. 11) et infirme les jugements sévères adressés à une oeuvre que l'on dit besogneuse.
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