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Maurice ROLLINAT (1846-1903) (Recueil : Paysages et paysans) - Les trois noyers

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Maurice ROLLINAT (1846-1903) (Recueil : Paysages et paysans) - Les trois noyers Qui les planta là, dans ces flaques, Au cœur même de ces cloaques ? Aucun ne le sait, mais on croit Au surnaturel de l'endroit. Narguant les ans et les tonnerres, Les trois grands arbres centenaires Croissent au plus creux du pays, Aussi redoutés que haïs. A leur groupe un effroi s'attache. Nul n'oserait brandir sa hache Contre l'un de ces trois noyers Qu'on appelle les trois sorciers. Car, si le hasard les rassemble, Il fait aussi qu'ils se ressemblent : Ils sont d'aspect énorme et rond, Jumeaux de la tête et du tronc. Ils ont la même étrange mousse, Et le même gui monstre y pousse. Ils sont également tordus, Bossués, ridés et fendus. Et, de tous points, jusqu'au gris marbre De leur écorce, les trois arbres Pour les yeux forment en effet Un trio sinistre parfait. Par le glacé de leur ombrage Ils rendent à ce marécage L'humidité qu'y vont pompant Leurs grandes racines-serpent. Au-dessus du jonc et de l'aune Leur feuillage verdâtre et jaune Tour à tour fixe et clapotant Est tout le portrait de l'étang. On ne voit que le noir plumage Du seul corbeau dans leur branchage ; Et c'est le diable, en tapinois, Qui, tous les ans, cueille leurs noix. On dit qu'ils ont les facultés, Les façons de l'humanité, Qu'ils parlent entre eux, se déplacent, Qu'ils se rapprochent, s'entrelacent. On ajoute, même, tout bas, Qu'on les a vus, du même pas, Cheminer roides, côte à côte, Dressant au loin leur taille haute. Et l'on prétend que leurs crevasses, Autant d'âpres gueules vivaces, Ont fait plus d'un repas hideux Des pâtres égarés près d'eux. Enfin, tous trois ont leur chouette Qui, le jour, n'étant pas muette, Pousse des plaintes de damné Dès que le ciel s'est charbonné. Et chacune prédit un sort : L'une clame la maladie, Une autre annonce l'agonie, La troisième chante la mort. C'est pourquoi, funeste et sacrée, L'horreur épaissit désormais Leur solitude. Pour jamais On se sauve de leur contrée !

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