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Marquis de Sade

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"Impérieux colère, emporté, extrême en tout, d'un dérèglement d'imagination sur les mœurs qui de la vie n'a eu son pareil, athée jusqu'au fanatisme, en deux mots me voilà, et encore un coup tuez-moi ou prenez-moi comme cela car je ne changerai pas" Ils ont choisi de le tuer, d'abord à petit feu dans l'ennui des cachots et puis par la calomnie et l'oubli ; son souvenir défiguré par des légendes imbéciles, ses journaux intimes perdus, ses manuscrits brûlés, ses livres interdits, son nom est encore délibérément ignoré par la littérature officielle. Depuis quelques années des admirateurs passionnés ont troublé ce scandaleux silence mais en divinisant le "divin marquis" ils le trahissent à leur tour ; ni scélérat ni prophète, Sade est un homme, un écrivain à qui il convient de rendre sa place sur terre, parmi nous. Auteur pornographique, obsédé sexuel, Sade a d'avance protesté contre ces étiquettes : "L'acte de jouissance est une passion qui j'en conviens subordonne à elle toutes les autres, mais qui les réunit en même temps." S'il a subordonné toute son existence à son érotisme, c'est que dans l'érotisme seulement il a pu tout entier se réunir. Mécontent du destin médiocre auquel il était héréditairement voué, trop attaché à ses privilèges pour s'en inventer un neuf, il a tenté de ressusciter imaginairement du secret des "petites maisons" la condition dont toute l'aristocratie décadente rêvait avec nostalgie : celle du despote féodal solitaire et souverain. La société lui a interdit cette évasion, elle lui a assigné une place dans le monde réel : celle du criminel ; dans l'orgueil et le ressentiment, il l'a hautement revendiquée ; à travers les plaisirs de la chair il a cherché l'apothéose du Mal. Libéré par la Révolution de ses cachots et du passé, il a souhaité se rallier à l'ordre nouveau ; mais la Terreur lui a manifesté avec éclat que tout régime politique, traitant abstraitement les individus comme des objets, contestait la vérité de son drame singulier : celui du sujet concrètement aux prises avec d'autres sujets. Il est resté seul. C'est cette solitude que sous des couleurs érotiques son œuvre met en question, et avec elle la totalité de sa condition d'homme. Sans ses prisons, Sade eût-il écrit ? Le problème est oiseux ; il n'eût pas été Sade. Le fait est que la littérature seule lui a permis de surmonter les échecs auxquels le condamnaient sa sexualité et son éthique. Il a choisi l'imaginaire et le crime ; mais le monde réel ne pouvait ni se soumettre à ses songes, ni supporter les contradictions qu'implique tout système démoniaque. Saisir à travers une chair torturée la présence d'une liberté, prêter assez de consistance à la vertu pour qu'il soit intéressant de la vexer, éterniser la débauche sans sombrer dans la satiété, se vouer au mal sans l'apprivoiser, ces tours de force ne sont possibles que par la grâce des mots. C'est en écrivant que Sade a réalisé l'acte parfait : à la fois voluptueux, agressif, sacrilège et exactement adéquat à soi-même.

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