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Marguerite Duras, L'Amant de la Chine du Nord, Retour d'Indochine

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Marguerite Duras, L'Amant de la Chine du Nord, Retour d'Indochine L'enfant va voir vers le bar, elle n'entre pas bien sûr, elle va sur l'autre pont. Là il n'y a personne. Les voyageurs sont à bâbord pour guetter l'arrivée du vent de la haute mer. De ce côté-là du navire il y a seulement un très jeune homme. Il est seul. Il est accoudé au bastingage. Elle passe derrière lui. Il ne se retourne pas sur elle. Il ne l'a sans doute pas vue. C'est curieux qu'à ce point il ne l'ait pas vue. Elle non plus n'a pas pu voir son visage, mais elle se souvient de ce manque à voir de son visage comme d'un manque à voir du voyage. Oui, c'est bien ça, il portait une sorte de blazer. Bleu. A rayures blanches. Un pantalon du même bleu il portait aussi, mais uni. L'enfant était allée au bastingage. Parce qu'ils étaient si seuls tous les deux de ce côté-là du bateau sur ce pont désert, elle aurait tellement voulu qu'ils se parlent. Mais non. Elle avait attendu quelques minutes. Il ne s'était pas retourné. Il désirait rester seul, plus que tout au monde il désirait ça, être seul. L'enfant était repartie. L'enfant n'avait jamais oublié cet inconnu, sans doute parce qu'elle lui aurait raconté l'histoire de son amour avec un Chinois de Cholen. Au bout du pont, lorsqu'elle s'était retournée, il n'était plus là. Elle descend dans les coursives1. Elle cherche encore la double cabine où elles ont leurs couchettes, la mère et elle. Et puis elle s'arrête de chercher tout à coup. Elle sait que ça ne sert à rien, la mère restera introuvable. Elle remonte sur le pont-promenade. Sur l'autre pont l'enfant ne trouve plus sa mère non plus. Et puis elle la voit, elle est plus loin cette fois-ci, elle dort encore, dans une autre chaise longue, légèrement tournée vers l'avant. L'enfant ne la réveille pas. Elle retourne encore dans les coursives. Elle attend encore. Puis elle repart encore. Elle cherche son petit frère Paulo. Et puis elle cesse de le chercher. Et puis elle repart vers les coursives. Et elle se couche là, devant la double cabine dont la mère a oublié de lui donner la deuxième clé et elle se souvient. Et elle pleure. S'endort. Un haut-parleur avait annoncé que la terre avait disparu. Qu'on a atteint la pleine mer. L'enfant hésite et puis elle remonte sur le pont. Une houle très légère est arrivée avec le vent de la mer. Sur le bateau la nuit est arrivée. Tout est éclairé, les ponts, les salons, les coursives. Mais pas la mer, la mer est dans la nuit. Le ciel est bleu dans la nuit noire, mais le bleu du ciel ne se reflète pas dans la mer si calme soit-elle et si noire. Les passagers sont de nouveau accoudés au bastingage. Ils regardent vers ce qu'ils ne voient plus. Ils ne veulent pas rater l'arrivée des premières vagues de la haute mer et avec elles celle de la fraîcheur du vent qui d'un seul coup s'abat sur la mer. L'enfant cherche encore sa mère. Elle la retrouve cette fois encore endormie dans ce sommeil d'immigrée à la recherche d'une terre d'asile. Elle la laisse dormir.

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