Devoir de Français

Marcel Arland

Extrait du document

Marcel Arland 1899-1986 Il y a deux Arland. Non pas certes deux hommes, mais deux oeuvres imbriquées l'une dans l'autre et qui, souvent, s'opposent entre elles... Voici d'abord la part la mieux connue, la plus ouverte au public — et qui lui a apporté le succès : elle se confond avec une enquête fiévreuse des chances départies à l'homme dans le monde un peu sot de l'autre après-guerre. Voici donc des exaltés, des indignés. Certains échappent hors d'Europe, d'autres restent pour démontrer à la vieille culture son absurdité. D'autres enfin végètent, s'exilent dans une province qui, souvent, les dépayse plus encore que l'étranger. Et qui les enterre. Le héros que construit Arland est dominé par les instances nietzschéennes. Avec sa génération, le romancier vit sous le regard d'un Dieu jaloux auquel il ne croit pas, mais qui n'admet aucun compromis, aucune médiocrité. Telle est, au fond, l'histoire de Gilbert Villars, le héros de l'Ordre. Fils spirituel de Julien Sorel, il se lance dans l'action politique, peut-être parce que sa vie n'a pas trouvé son accomplissement dans la femme qu'il aime, Renée. Du moins, entreprend-il de saper l'ordre qui est. On pourrait croire que la victoire le libère... Mais Gilbert ne cherche pas à s'assouvir : à peine Renée devient-elle sa maîtresse, qu'il travaille à la détruire et à se détruire avec elle. Un homme comme lui ne saurait se contenter d'un bonheur ou d'une condition modestes. Il porte avec soi trop de passion ; surtout, une force le pousse qui corrompt tout ce qu'il touche et l'anéantit lui-même en fin de compte, comme le cancer qui le ronge et le ramène vaincu à sa "terre natale".

« Marcel Arland 1899-1986 Il y a deux Arland.

Non pas certes deux hommes, mais deux oeuvres imbriquées l'une dans l'autre et qui, souvent, s'opposent entre elles... Voici d'abord la part la mieux connue, la plus ouverte au public — et qui lui a apporté le succès : elle se confond avec une enquête fiévreuse des chances départies à l'homme dans le monde un peu sot d e l'autre après-guerre.

Voici donc des exaltés, des indignés. Certains échappent hors d'Europe, d'autres restent pour démontrer à la vieille culture son absurdité.

D'autres enfin végètent, s'exilent dans une province qui, souvent, les dépayse plus encore que l'étranger.

Et qui les enterre. Le héros que construit Arland est dominé par les instances nietzschéennes.

Avec sa génération, le romancier vit sous le regard d'un Dieu jaloux auquel il ne croit pas, mais qui n'admet aucun compromis, aucune médiocrité. Telle est, au fond, l'histoire de Gilbert Villars, le héros de l'Ordre.

Fils spirituel de Julien Sorel, il se lance dans l'action politique, peut-être parce que sa vie n'a pas trouvé son accomplissement dans la femme qu'il aime, Renée.

Du moins, entreprend-il de saper l'ordre qui est. On pourrait croire que la victoire le libère...

Mais Gilbert ne cherche p a s à s'assouvir : à peine Renée devient-elle sa maîtresse, qu'il travaille à la détruire et à se détruire avec elle.

Un homme comme lui ne saurait se contenter d'un bonheur ou d'une condition modestes. Il porte avec soi trop de passion ; surtout, une force le pousse qui corrompt tout ce qu'il touche et l'anéantit lui-même en fin de compte, comme le cancer qui le ronge et le ramène vaincu à sa "terre natale". Arland a pu se délivrer d'une obsession en inventant Gilbert, il ne l'a pas détruite.

Dans un article célèbre de 1904, Sur Un nouveau mal du Siècle, publié dans la N.R.F., il s'interroge : que valent les spécialistes de la révolte — surréalistes ou révolutionnaires ? Pour les uns, il s'agit d'une parade et d'une pose (qui n'est pas sans rapporter quelque bénéfice) ; pour les autres, d'une doctrine qui remplace les religions mortes.

Alors, vers quelles valeurs faut-il se tourner ? Seule, la littérature peut fournir une éthique, car elle est un mode d'existence, une ascèse de la solitude.

Cela explique l'ardeur avec laquelle Arland s e détourne du succès social et recherche l'isolement libérateur.

Qui n'a pas tenté ainsi d e se détacher un jour de la "République des lettres" n'a pas d'âme et n'a rien à dire... Après l'Ordre vient donc la Vigie, cette expérience de la solitude, solitude d e l'amour, solitude de la pensée.

Sans doute l'instinct destructeur qui façonnait le caractère de Gilbert affecte-t-il encore le héros du roman et met-il en péril Geneviève avec qui il tente de "vivre au désert", comme on disait au siècle d'Alceste.

Pourtant, le souci d e composer une figure imaginaire qui explique à elle-même l'existence individuelle l'emporte sur l'esprit de négation.

Et cela marque un pas en avant. Or, identifier l'existence et la littérature, c'est chercher dans l'écriture une mystique.

Arland interroge la création littéraire afin de mieux définir cette "grâce" qui atteint tous ceux des écrivains qui se sont découverts à eux-mêmes et aux autres : Pascal, Racine, Laclos...

Le critique trouve ici sa raison d'être — mais dans une lucidité exacerbée qui ne tolère pas la médiocrité. Ce visage d'Arland, c'est celui que tout le monde connaît.

Celui qu'il montre à la N.R.F.

qu'il dirige avec Paulhan.

Toutefois, l'oeuvre ne se réduit pas à cette exigence, qui se développe dans les directions différentes et conduit aux grandes nouvelles. Pourtant, on ne passe pas simplement d'un registre à l'autre.

Il y a des relais qui permettent de changer de domaine et de modifier les structures mêmes de l'oeuvre.

C'est une longue méditation sur l'enfance qui sert ici de transition. L'enfance, elle est en apparence partout, dans cette oeuvre.

Mais ce n'est pas simplement l'enfance.

Déjà, dans Terres étrangères, ce récit des débuts d'Arland qu'aimait Valery Larbaud, un enfant est le témoin des amours tragiques d'un couple, le regard, en apparence innocent, insidieusement appliqué à une tragédie.

Plus profonde est cependant la mémoire : elle retrouve une mère, devenue veuve trop jeune, la menaçante présence des morts, l'ombre d'un père inconnu, les étrangers dont les gestes composent un univers impitoyable.

Les Vivants, Zélie dans le désert, Terre natale définissent ainsi une rêverie qui force Arland à sonder plus profondément la terre du passé. Nous parvenons alors à ce que lui-même a nommé "le charnier spirituel de l'ombre", le peuple des fantômes et des créatures qui habite les récits les plus surprenants de l'écrivain.

Cela constitue la part mystérieuse de cette oeuvre, non seulement parce que l'écrivain unit dans la même démarche une analyse critique de la littérature et la création d'un univers dominé par des obsessions irrépressibles, mais surtout parce que l'art paraît puiser aux sources mêmes de la vie de l'artiste et se nourrir de sa substance. Il faut de tout pour faire un monde, l'Eau et le Feu, la Consolation d'un voyageur, A perdre haleine et Je vous écris nous jettent au milieu d'un monde farouche qu'inlassable l'écrivain-témoin interroge et met en doute.

Les figures plus ou moins monstrueuses et fantastiques qui peuplent les campagnes où elles s'enracinent ne sont pas explicables par les rêveries qui commandaient aux premiers livres. L'écrivain multiplie les angles de vue, nous découvre une femme malade de son désir par les quelques vêtements qui subsistent d'elle après sa mort, un malheureux bafoué qui se pend à la sauvette dans une cabane, ouvre une saisissante méditation, à propos d'un défilé de carnaval où une jeune paysanne, attachée sur un char, joue les martyres. Ici, l'art d e Marcel Arland est fait de notations imperceptibles qui désignent la vie plus qu'elles ne l'exposent.

I1 convient d e faire pressentir sans expliquer, sans enfermer le personnage dans une image toute faite.

Aucun écrivain n'a moins joué avec ses créatures. C e monde est terrifiant, implacable.

Dérisoire aussi.

C'est peut-être une vision de l'enfer.

Qu'importe...

Les personnages qu'il invente pèsent sur le cerveau de l'écrivain comme des vampires.

Il les aime et les hait tout à la fois, parce qu'ils représentent sa vie inquiète et frémissante.

Mais ils le sauvent aussi du malheur d'être. Tout cela, dans la seconde partie de Je vous écris, s'achève dans une immense caravane, un "grand pardon" où le romancier voit ses personnages s'acheminer vers le jugement dernier, non pour y trouver une morbide satisfaction, mais une "bénédiction", une sorte de réconciliation de l'homme avec lui-même.

C'est le "grand merci" de Nietzsche.

C'est autre chose encore : l'épanouissement d'une oeuvre en perpétuel inachèvement qui découvre, sinon la paix et la sérénité, du moins une sorte de bonheur tendu.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles