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Lettre X sur le commerce de Voltaire

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En France, est marquis qui veut; et quiconque arrive à Paris du fond d'une province avec de l'argent à dépenser, et un nom en ac ou en ille, peut dire: Un homme comme moi, un homme de ma qualité, et mépriser souverainement un négociant. Le négociant entend lui-même parler si souvent avec dédain de sa profession qu'il est assez sot pour en rougir; je ne sais pourtant lequel est le plus utile à un État, ou un seigneur bien poudré qui sait précisément à quelle heure le roi se lève, à quelle heure il se couche, et qui se donne des airs de grandeur en jouant le rôle d'esclave dans l'antichambre d'un ministre, ou un négociant qui enrichit son pays, donne de son cabinet des ordres à Surate et au Caire, et contribue au bonheur du monde. Lettre X sur le commerce - Extrait des " lettres philosophiques " de Voltaire

« En France, est marquis qui veut; et quiconque arrive à Paris du fond d’une province avec de l’argent à dépenser, et un nom en ac ou en ille, peut dire: Un homme comme moi, un homme de ma qualité, et mépriser souverainement un négociant.

Le négociant entend lui-même parler si souvent avec dédain de sa profession qu’il est assez sot pour en rougir; je ne sais pourtant lequel est le plus utile à un État, ou un seigneur bien poudré qui sait précisément à quelle heure le roi se lève, à quelle heure il se couche, et qui se donne des airs de grandeur en jouant le rôle d’esclave dans l’antichambre d’un ministre, ou un négociant qui enrichit son pays, donne de son cabinet des ordres à Surate et au Caire, et contribue au bonheur du monde. Voltaire A.

— Ce texte de Voltaire est une démonstration en même temps qu'une condamnation : l'auteur y dénonce non seulement la fausse noblesse, mais encore l'oisiveté en général de la noblesse française qui, imbue de sa prétendue supériorité, pousse l'outrecuidance jusqu'à dédaigner les « négociants >, dont l'activité contribue pourtant à la richesse et au bonheur d'un Etat. B.

— D'inspiration satirique la page est écrite sur un ton sarcastique et indigné qui fait de l'ouvrage dont elle est tirée beaucoup plus encore un pamphlet qu'un simple reportage. C.

— L'intérêt du texte est dans la hardiesse de l'attaque; — dans l'affirmation d'un principe moral, social et politique au nom duquel Voltaire justifie sa critique, dans l'expression vivante et concrète d'une thèse qui, avec la plus grande clarté, oppose deux manières de penser et de vivre. DÉVELOPPEMENT : À.

— La hardiesse de l'attaque : Elle apparaît moins dans la critique de la fausse noblesse, dont tout le mérite est « d'avoir de l'argent à dépenser et un nom en -ac ou en -ille (1er partie) que dans la condamnation d'une noblesse qui se croirait déshonorée de travailler (2e partie). • Voltaire se borne en effet à rappeler, après tant d'autres, qu' "en France est marquis qui veut", c'est-à-dire qu'il suffit d'acheter une terre "noble" et d'usurper un titre pour aller ensuite étaler sa morgue dans un salon parisien.

A l'égard de ces nobles imaginaires Voltaire est relativement indulgent.

Il ne leur reproche que leur vanité et leur souverain mépris pour ceux qui travaillent. • Il est beaucoup plus mordant dans la seconde partie où il oppose les courtisans aux négociants.

Il montre ceux-ci enrichissant leur pays et ceux-là infatués d'eux-mêmes, attentifs à des fadaises comme le « lever » ou le "coucher" du roi (7 et 8), prenant des airs de grandeur et jouant en fait les rôles d'un « esclave » (9) dans l'antichambre d'un ministre.

Cette fois il ne s'agit plus de critiquer la vanité des parvenus.

Voltaire s'en prend aux mœurs même de la Cour. Il reproche aux nobles leur oisiveté, leur futilité et leur servilité qui fait étrangement contraste avec leurs prétentions (esclave s'oppose à "airs de grandeur"). B.

— Portée de cette condamnation : Cette condamnation se fonde sur un principe moral, social et politique. a) Il est immoral qu'on tire gloire d'un titre de noblesse acquis à prix d'argent, mais il Test encore plus de dédaigner ceux qui travaillent et de vivre soi-même dans l'oisiveté.

C'est dans cette oisiveté que les grands seigneurs passent le plus clair de leur temps, car il ne saurait être question d'appeler travail leur empressement auprès du roi ou leur activité inutile dans les cabinets ministériels. b) Il est contraire à l'intérêt de la société qu'on y vive pour ne rien faire et que les oisifs y vivent aux dépens des autres. c) Enfin et surtout (lignes 10 et 11) il y a un enchaînement entre le travail, la richesse et le bonheur : un pays ne peut être heureux que s'il est riche et il ne peut être riche que si l'on y travaille. C.

— Qualités de l'expression : Avec la plus grande clarté et beaucoup de vie Voltaire oppose deux manières de vivre et deux manières de penser : Il montre les uns, les nobles, faux ou vrais, entichés de leur noblesse, récente ou non.

Nous les entendons parler en style direct (ligne 3) ou nous les imaginons, méprisants (4), futiles (importance de « précisément », à ligne 7), arrogants et pourtant bien médiocres, occupés à bien « se poudrer » ou à des besognes aussi inutiles que subalternes. Il montre les autres — les négociants — effacés et timides (ligne 6) et pourtant "efficaces", conscients de leurs responsabilités, puisqu'ils « donnent des ordres », d'une activité immense puisqu'elle s'étend jusqu'au « Caire » et à « Surate », c'est-à-dire la côte, occidentale de l'Inde. Pourtant, si extraordinaire que cela puisse paraître ce sont les premiers qui dédaignent les autres.

N'est-ce pas, semble nous dire Voltaire, le triomphe de l'absurde ? D.

— L'auteur en situation qui s'exprime : A.

— Le passage à commenter est extrait de la lettre X des Lettres Philosophiques ou Lettres Anglaises que Voltaire publia en 1734 à son retour d'Angleterre, où il avait séjourné trois ans de 1726 à 1729; Soucieux d'opposer l'Angleterre. »

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