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Le Tasse

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Torquato Tasso, qu'en France nous appelons Le Tasse, naquit à Sorrente, le 11 mars (mois des fous) 1544.       Son père, Bernard, appartenait à la flatteuse catégorie des diplomates poétiques. L'un des ancêtres de la famille, Amédée, reste connu pour avoir, dès 1280, établi, en Europe, un système cohérent de courriers accélérés. Le blason des Tasso, depuis, comporte une tête de cheval (image de la diligence postale) casquée de peaux de blaireau. " Tasso ", en effet, veut dire " blaireau ".       Bernard, le père immédiat de Torquato, fut, tour à tour, au service du comte Rangone et de la duchesse de Ferrare, Renée de France, avant de devenir secrétaire en titre du prince de Salerne, qu'il accompagna dans divers voyages en Belgique, Allemagne, Afrique. Ensuite, il occupa d'analogues emplois auprès de Guidobald, deuxième du nom, duc d'Urbin, lequel le nomma, pour finir, gouverneur d'Ostie. C'est en ce lieu que Bernard lut au duc son Amadis. Il s'agit d'un roman versifié, comparable, mais en plus pédant et mécanique, au Roland de Ludovic Arioste.      L'infortuné Bernard serait resté, peut-être, dans la mémoire des hommes, comme un champion de l'épopée chevaleresque et de la poésie en général (Bernard, en effet, fit aussi des églogues et des élégies) s'il n'avait eu ce fils, Torquato, qui lui dévora sa gloire.      

« Le Tasse Torquato Tasso, qu'en France nous appelons Le Tasse, naquit à Sorrente, le 11 mars (mois des fous) 1544. Son père, Bernard, appartenait à la flatteuse catégorie des diplomates poétiques.

L'un des ancêtres de la famille, Amédée, reste connu pour avoir, dès 1280, établi, en Europe, un système cohérent de courriers accélérés.

Le blason des Tasso, depuis, comporte une tête de cheval (image de la diligence postale) casquée de peaux de blaireau.

" Tasso ", en effet, veut dire " blaireau ". Bernard, le père immédiat de Torquato, fut, tour à tour, au service du comte Rangone et de la duchesse de Ferrare, Renée de France, avant de devenir secrétaire en titre du prince de Salerne, qu'il accompagna dans divers voyages en Belgique, Allemagne, Afrique.

Ensuite, il occupa d'analogues emplois auprès de Guidobald, deuxième du nom, duc d'Urbin, lequel le nomma, pour finir, gouverneur d'Ostie.

C'est en ce lieu que Bernard lut au duc son Amadis.

Il s'agit d'un roman versifié, comparable, mais en plus pédant et mécanique, au Roland de Ludovic Arioste. L'infortuné Bernard serait resté, peut-être, dans la mémoire des hommes, comme un champion de l'épopée chevaleresque et de la poésie en général (Bernard, en effet, fit aussi des églogues et des élégies) s'il n'avait eu ce fils, Torquato, qui lui dévora sa gloire. Torquato, comme tout le monde, étudia le grec, le latin, le droit, la philosophie.

Mais la muse le travaillait.

Son Renaud, morceau en vers, date de ses dix-sept ans.

La chevalerie, lui aussi, l'inspira.

Et, déjà, sa grande aventure, sa personnelle genèse, la Jérusalem, s'élabore en lui. Là-dessus, le gratin l'accueillit.

Toujours, à quelque instant, un poète de vocation, farci d'arrogance et de saisissement, se trouve nez à nez avec le seizième arrondissement.

Il entre dans la dorure, les seigneurs, les belles dames, les valets de pied.

Son propre génie lui tient lieu de sauf-conduit. Chacun, de le voir, se déclare ébloui.

Peut-être belles dames, chandeliers d'or, seigneurs attentifs et valets de pied font-ils partie d'une même figuration, promue, de siècle en siècle, à mystifier les pauvrets qui croient assumer la relance de la création universelle par le moyen d'une juste prosodie.

A noter que les poètes nés chez les gens bien, tel Victor Hugo, vont quêter leur investiture, théoriquement, du côté des gueux. Au contact chatoyant des grands, et des grandes, Torquato (le " tordu ") s'embarque en plein rêve éveillé d'ascension sociale.

Il était d'un milieu décent mais, tout de même, quand chez le duc Alphonse d'Este, époux de Barbara d'Autriche, il eut son rond de serviette, il crut la partie gagnée, d'autant plus que le duc avait deux soeurs, Lucrèce, Eléonore, formes sensibles de la grâce d'Etat.

Désormais, la Jérusalem filait grand train.

Sur les rapports de cette LucrèceL125, qu'on a tendance à prendre pour une autre, et du jeune écrivain, et de celui-ci avec Eléonore, nous pouvons, nous, postérité, tout présumer.

Mais les femmes sont souvent plus rebelles que les rimes.

Dans la vie d'artiste, on a raison de le dire, tout n'est pas rose.

Le duc Alphonse, s'il a des soeurs, a aussi une police.

Et l'Eglise se méfie des têtes qui se montent.

Derrière les charmantes (pourquoi ne l'eussent-elles point été ?) poitrines de LucrèceL125 et d'Eléonore, derrière les fêtes, les bals, les récitations, les bosquets, derrière l'illusion d'avoir soi-même le pouvoir de ce qu'on se fait caresser du titre de grand homme par ceux qui l'ont, Torquato, petit à petit, découvre des ombres sans aménité : les inspecteurs, les réviseurs, les concurrents, tous ces mêmes valets de pied des grandes heures courtisanes, ces aimables seigneurs aussi, qui ont changé de coeur.

Lui, créateur, on lui crée des ennuis.

On cherche des poux dans sa tête épique.

Et, quand il se plaint au duc, le duc, peut-être jaloux mais, à coup sûr, souverain, le fait arrêter.

Pour lui apprendre à vivre.

Exactement pour lui apprendre à vivre.

Pour le ramener dans le sentiment de sa débilité personnelle.

Tu peuples ta poésie de chars volants fendeurs d'espace ? Eh bien ! Fends ces murs.

Non, mon garçon, nous ne voulons pas te prouver que ton oeuvre ne vaut rien, mais qu'elle vaut ce qu'elle vaut dans son ordre, le littéraire, et que la magie poétique, quand on la prive de petits fours, ne sait que pleurer dans l'angle, inexperte aux dominations solides. La prison s'ouvre.

Torquato part.

Mais il retourne.

L'odeur des palais le tient.

Pauvres poètes ! Pauvres garçons qui ne sauront jamais s'ils sont au-dessus de l'espèce ou dessous, et si leur " inspiration " n'est pas autre chose qu'une goinfrerie puérile de leur âme stupéfaite en présence des couleurs et des énigmes de la vie que la majorité humaine digère et admet sans chichis. Rampant, Torquato essaie de s'introduire à nouveau dans la chronique mondaine.

On le repousse.

Jambes d'Eléonore, pitié ! Il est, maintenant, pour de bon, un mendiant, un vaincu, non plus un mendiant à la blague, non plus un foudroyé allégorique qui pique dans le rôti en plein nuage, autour de lui, complimenteur, mais un vrai vieux mulet d'ennuis et de soucis, qui n'y comprend rien, qui ne possède ni compas ni baromètre.

Et il traîne sa Jérusalem, son oeuvre maîtresse, comme une croix, comme une barrique de démons. Loqueteux, mal ressemelé, il doit faire face à des interrogations papelardes, dont il discerne mal si leur nature est esthétique ou judiciaire.

Il entrevoit que la liberté la moins contestée en apparence, celle de faire des vers, même bons, même très bons, constitue, aux yeux des inspecteurs et des réviseurs, une licence, une incontinence, et que ceux qui s'y adonnent avec une trop évidente naïveté sont suspectés d'impudicité, d'insanité.

Qu'on le tienne pour coupable et criminel, comment en douterait-il, le jour où on l'enferme, bel et bien, à Sainte-Anne, chez les fous. Le Tasse a trente-cinq ans.

Le Panthéon, un jour ou l'autre, reçoit les poètes majeurs.

En attendant, il n'est en rien gênant pour l'esprit qu'on les isole et les " confine " sérieusement afin de les situer au comble même de leur indépendance chimérique et de leur singularité visionnaire, lesquelles seront d'autant plus pures que moins tentées par les occasions banales de la circulation désentravée.

L'" asile " apparaît pour les poètes, non moins indiqué que l'exil.

C'est le paradis de leur idée fixe d'aparté méditatif, dont Torquato, après sept ans d'internement, fut satisfait de sortir. Mais quel misérable animal éperdu, désormais ! L'Académie (de la Crusca) et l'InquisitionL218M1 chipotaient jusqu'au sang sa grande Jérusalem.

Il. »

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