La Chanson du mal aimé (Guilaume Apollinaire)
Extrait du document
«
La chanson du mal aimé est un poème qui aborde un thème bien précis: L'échec de l'aventure amoureuse entre
Apollinaire et Annie Playden, gouvernante anglaise rencontrée en Allemagne en 1901.
En effet, le poème fut écrit en
1903, année où Apollinaire se rendit à Londres pour tenter de revoir Annie Playden, après leur rupture de 1902, mais
en vain.
Ce poème est dédié à Paul Léautaud, qui fut un grand ami d'Apollinaire, auteur notamment de son Journal
littéraire.
Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour à la semblance
Du beau Phénix s'il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance...
Il conviendra d'étudier comment Apollinaire conçoit l'amour, en montrant les ambiguïtés qui rendent plus
difficile son jugement.
Nous verrons également que le temps est un facteur primordial dans ce poème: il régit à la
fois le poème lui même, la vie de l'auteur, et l'amour même...
Pour Apollinaire, l'amour est vital.
Il le cherche partout et le trouve partout...
Mais il le voit parfois bon,
parfois mauvais.
Il le voit bon dans ses espoirs, nous le voyons dans « suivrons-nous (...) tes cours vers d'autres
nébuleuses », il a l'espoir de pouvoir aimer toujours: malgré tout ce qui peut arriver, l'amour ne peut être atteint, il
est aussi invincible que les étoiles.
Le bon amour, Apollinaire le voit aussi dans son passé, ou du moins à cette aube
belle et printanière qu'il nous décrit dans la dernière strophe: « C'était l'aube d'un jour d'avril (...) j'ai chanté l'amour
à voix virile ».
Il est encore un endroit où, pour l'auteur, l'amour est bonheur: c'est dans ses rêves...
Dans son
poème, Apollinaire nous fait part de ses rêves à travers l'antique mythe d'Ulysse et de Sacontale, qui par définition
est légende.
Le mythe serait ce qu'Apollinaire voudrait atteindre: la perfection de l'amour.
Or ce mythe,
immédiatement après l'avoir « conté », il le brise et nous défait ainsi de l'éblouissement du bel amour, pour nous
plonger dans la triste « ombre » de l'« amour faux ».En effet, la lumière est un moyen évident dans ce poème, pour
distinguer l'amour sincère, et l'amour faux: pour l'amour sincère, nous retrouvons les termes: « soleil de Paques »,
« belle aube », « soeur lumineuse », alors que pour l'amour faux, nous retrouvons: « ombres infidèles », « enfer »,
« oubli », « mort », « triste soir ».
Le faux amour dont Apollinaire parle est ce qui a corrompu les « rois du monde »,
ceux de ses rêves, c'est ce qui a fait cesser l'aventure amoureuse entre Annie et l'auteur.
C'est donc le regrets
l'amertume, qui accompagne la description du faux amour que fait Apollinaire: « malheureux », « regrets », « onde
mauvaise à boire ».
Nous sommes donc en train de lire le poème d'un homme encore amoureux de son ancienne
amie, exprimant à coeur ouvert l'ensemble de ses regrets accompagnés de sa conception de l'amour parfait...
Mais alors, ne serions nous pas là en plein processus de tentative de « re-séduction »? Nous pouvons tout
d'abord voir que ce poème est écrit dans une forme très stricte en comparaison avec Zone notamment: Nous avons
ici un schéma régulier de strophes: 5 vers, rimes disposées toujours de la même manière (ABABA), et nous avons
des vers toujours octosyllabes.
Cet aspect très strict montre que le poète est sur de ce qu'il pense, de ce qu'il
veut, de ce qu'il dit.
L'assurance est la base de l'art oratoire.
Nous pouvons voir que ce poème a un schéma
argumentatif très élaboré, basé sur les réactions et émotions du destinataire (de la destinatrice).
Effectivement, le
sujet poétique commence son argumentation par l'évocation de son rêve: le mythe d'Ulysse.
Ce rêve est plaisant, il
nous donne envie d'y rester: « sage Ulysse », « tapis de haute lisse », « réjouit » etc.
Mais il nous en extirpe
violement, c'est le premier choc: il nous fait comprendre que le seul amour réel, c'est le faux amour...
Ce choc a
pour but de nous secouer, de nous faire finalement regretter, comme lui le fait, l'amour parfait d'Ulysse et
Sacontale.
Puis, après avoir mélé les rois du monde à la corruption (« eussent vendu leur âme »), le poète semble
ouvrir une nouvelle porte, qui éclairerait quelque peu les ombres terrifiantes de l'amour faux: « revienne le soleil »,
« pour chauffer un coeur ».
Hélas, cette lumière, il la demande, la désire, mais son état est le suivant: il est plus
froid que les martyrs de Sébastes (qui moururent de froid: nus sur un lac gelé pour n'avoir voulu se convertir
religieusement).
Il continue dans ce déchirement: mon beau navire », « une onde mauvaise à boire », « belle
aube », « triste soir ».
Et ainsi, second choc, il « congédie » l'amour, congédie Annie...
Le procédé est le même que
précédemment: il veut provoquer en elle une révolte, et ainsi la tirer vers lui.
Le dernier élément est la demande
explicite de ce qu'il s'est préparé à annoncer: suivre le cours de la voie lactée vers une autre nébuleuse.
La
nébuleuse serait une étoile d'amour, la précédente s'étant éteinte (« triste soir »), il veut amener Annie dans une
autre de ces nébuleuses.
Nous avons donc là constaté qu'Apollinaire s'est livré à un véritable jeu d'argumentation:
en jouant avec les émotions, les sentiments et les souvenirs de sa bien aimée, il espérait la séduire à nouveau.
Cette séduction n'arrivera hélas jamais...
Dans son introduction, Apollinaire compare son amour au Phénix.
Bien qu'il ne sache pas que son.
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