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Jules Vallès, l'Enfant, chapitre 5.

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Jules Vallès, l'Enfant, chapitre 5. La distribution des prix est dans trois jours. Mon père, qui est dans le secret des dieux, sait que j'aurai des prix, qu'on appellera son fils sur l'estrade, qu'on lui mettra sur la tête une couronne trop grande, qu'il ne pourra ôter qu'en s'écorchant, et qu'il sera embrassé sur les deux joues par quelque autorité. Madame Vingtras est avertie, et elle songe… Comment habillera-t-elle son fruit, son enfant, son Jacques ? Il faut qu'il brille, qu'on le remarque, – on est pauvre, mais on a du goût. « Moi d'abord, je veux que mon enfant soit bien mis. » On cherche dans la grande armoire où est la robe de noce, où sont les fourreaux de parapluie, les restes de jupe, les coupons de soie. Elle s'égratigne enfin à une étoffe criante, qui a des reflets de tigre au soleil ; – une étoffe comme une lime, qui exaspère les doigts quand on la touche, et qui flambe au grand air comme une casserole ! Une belle étoffe, vraiment, et qui vient de la grand-mère, et qu'on a payée à prix d'or. « Oui, mon enfant, à prix d'or, dans l'ancien temps. » « Jacques, je vais te faire une redingote avec ça, m'en priver pour toi !... », et ma mère ravie me regarde du coin de l'œil, hoche la tête, sourit du sourire des sacrifiées heureuses. « J'espère qu'on vous gâte, monsieur », et elle sourit encore, et elle dodeline de la tête, et ses yeux sont noyés de tendresse. « C'est une folie ! tant pis ! on fera une redingote à Jacques avec ça. » On m'a essayé la redingote, hier soir, et mes oreilles saignent, mes ongles sont usés. Cette étoffe crève la vue et chatouille si douloureusement la peau ! « Seigneur ! délivrez-moi de ce vêtement ! » Le ciel ne m'entend pas ! La redingote est prête.

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