Jean LORRAIN (1855-1906) (Recueil : La forêt bleue) - Jardin d'hiver
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Jean LORRAIN (1855-1906) (Recueil : La forêt bleue) - Jardin d'hiver À Alphonse Daudet. Ma vie, où des vols de colombes Neigeaient autrefois dans l'azur, Est un jardin rempli de tombes Avec des hiboux sur son mur. Les mornes oiseaux d'heure en heure S'éveillent au fond des cyprès, Et chacun d'eux ulule et pleure Sur mes vaeux devenus regrets. Leur cri lugubre et monotone Chante les précoces départs De mes rêves, au vent d'automne Qui tombent, tombent tous épars. Leurs débris jonchent les allées Et, sous le vieux porche jauni, L'ennui des plaines désolées Monte et s'enfonce à l'infini. Sous le ciel rouge et la bise aigre Serré dans un mince habit noir, Un petit vieux, propret et maigre, Y vient parfois rôder le soir. Baisant de ses lèvres dévotes Une grêle flûte en tuya, Il fait succéder aux gavottes Des vieux refrains d'alléluia. Au pied du mur qui se lézarde Le vieux chantonne, et les hiboux, Hérissant leur plume hagarde, Ferment lentement leurs yeux roux. Sous les grands traits d'ocre et d'orange Des crépuscules jaunissants Le vieux joue, et sa flûte étrange Endort les hiboux gémissants. Le vieux danse, et des violettes Percent sous son pied leste et sec, Et sous les vieux arbres squelettes Répondent des sons de rebec ; Car ce vieillard est ma jeunesse Et les chers amours d'autrefois, Attendant que mon coeur renaisse, Chantent dans son flûtet de bois.
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