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Guy de Maupassant

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Un de ces soirs de tristesse où le destin se révèle à ceux qu'il doit accabler, Maupassant s'écria : “ J'aurai passé comme un météore... ” Du météore, en effet, sa vie eut l'éclat et la brièveté. Dix ou douze ans, il a brillé ; l'homme, terrassé par la folie, s'est éteint tragiquement. L'œuvre est restée, et si la mode capricieuse s'en est éloignée ici, cette œuvre conserve à l'étranger un renom qui ne cesse point de grandir ; les traductions se multiplient, les travaux universitaires accroissent sans relâche la bibliographie d'un auteur rangé, dès avant sa mort, parmi les classiques. Classique, ce “ naturaliste ”, collaborateur de Zola, l'est en effet, pour les mêmes raisons que La Fontaine ou Montesquieu. Sa langue souple et charnue possède les vertus qui donnent aux œuvres le pouvoir de durer : une parfaite justesse d'expression et une extrême clarté. Il a dit lui-même dans la Préface Pierre et Jean : “ La langue française est une eau pure que les écrivains maniérés n'ont jamais pu et ne pourront jamais troubler. ” Il a dit cela en un temps où il était nécessaire de le dire, à l'heure où l'écriture artiste des Goncourt, où le naturalisme enchérissant sur ses audaces verbales, nous ramenaient, selon le mot de Flaubert, une “ préciosité à l'envers ” aussi affectée que celle de Cathos et de Madelon. A ce moment même, Maupassant eut le rare mérite de faire œuvre d'artiste de la prose en employant très simplement le vocabulaire et la syntaxe de tout le monde. Il eut aussi la gloire de renouer la tradition française de la nouvelle : art difficile, où excella Voltaire, où Mérimée fut maître. Mais il fut aussi romancier, après avoir tenté d'être poète, et il fut essayiste, voyageur, homme de théâtre. Il n'y a guère, au XIXe siècle, que Balzac qui ait autant produit. En dix ans, avec la régularité d'un arbre qui, chaque automne, porte ses fruits, il accumula trente volumes. On reconnaît à chaque page l'observateur merveilleusement précis des mœurs et des usages d'une époque aussi étrange pour les hommes d'aujourd'hui que pouvaient l'être le Premier Empire et la Restauration pour nos grands-pères. La “ fin de siècle ” prolongée sans hiatus par “ l'époque 1900 ” a été exploitée par les romanciers et les auteurs de films, et si le nom des personnages de Maupassant est paru assez souvent sur les “ pictures ” projetés sur tous les écrans du monde, dans combien de livres ne l'a-t-on pas découvert sous le masque qui prétendait le cacher ?

« Guy de Maupassant Un de ces soirs de tristesse où le destin se révèle à ceux qu'il doit accabler, Maupassant s'écria : “ J'aurai passé comme un météore...

” Du météore, en effet, sa vie eut l'éclat et la brièveté.

Dix ou douze ans, il a brillé ; l'homme, terrassé par la folie, s'est éteint tragiquement.

L'œuvre est restée, et si la mode capricieuse s'en est éloignée ici, cette œuvre conserve à l'étranger un renom qui ne cesse point de grandir ; les traductions se multiplient, les travaux universitaires accroissent sans relâche la bibliographie d'un auteur rangé, dès avant sa mort, parmi les classiques.

Classique, ce “ naturaliste ”, collaborateur de Zola, l'est en effet, pour les mêmes raisons que La Fontaine ou Montesquieu.

Sa langue souple et charnue possède les vertus qui donnent aux œuvres le pouvoir de durer : une parfaite justesse d'expression et une extrême clarté.

Il a dit lui-même dans la Préface Pierre et Jean : “ La langue française est une eau pure que les écrivains maniérés n'ont jamais pu et ne pourront jamais troubler.

” Il a dit cela en un temps où il était nécessaire de le dire, à l'heure où l'écriture artiste des Goncourt, où le naturalisme enchérissant sur ses audaces verbales, nous ramenaient, selon le mot de Flaubert, une “ préciosité à l'envers ” aussi affectée que celle de Cathos et de Madelon.

A ce moment même, Maupassant eut le rare mérite de faire œuvre d'artiste de la prose en employant très simplement le vocabulaire et la syntaxe de tout le monde. Il eut aussi la gloire de renouer la tradition française de la nouvelle : art difficile, où excella Voltaire, où Mérimée fut maître. Mais il fut aussi romancier, après avoir tenté d'être poète, et il fut essayiste, voyageur, homme de théâtre.

Il n'y a guère, au XIXe siècle, que Balzac qui ait autant produit.

En dix ans, avec la régularité d'un arbre qui, chaque automne, porte ses fruits, il accumula trente volumes.

On reconnaît à chaque page l'observateur merveilleusement précis des mœurs et des usages d'une époque aussi étrange pour les hommes d'aujourd'hui que pouvaient l'être le Premier Empire et la Restauration pour nos grands-pères.

La “ fin de siècle ” prolongée sans hiatus par “ l'époque 1900 ” a été exploitée par les romanciers et les auteurs de films, et si le nom des personnages de Maupassant est paru assez souvent sur les “ pictures ” projetés sur tous les écrans du monde, dans combien de livres ne l'a-t-on pas découvert sous le masque qui prétendait le cacher ? Il s'était formé sous la férule impitoyable de Flaubert, jusqu'à ce que soit atteinte la précision stricte.

Vingt fois sur le métier...

Les exigences de Flaubert auraient rebuté un moins obstiné que ce Normand têtu.

Mais d'un autre, moins chéri, le patron n'aurait pas tant exigé.

On songe devant cette laborieuse initiation à ce qu'était l'apprentissage des artistes au temps de Michel-Ange ou de Léonard de Vinci, auprès de maîtres paternels et tyranniques, et qui savaient tout obtenir parce qu'ils savaient aussi se faire aimer.

Et l'on ne s'étonne point de trouver dans les lettres de Flaubert, “ las jusqu'aux moelles ”, à la veille de sa mort, des accents d'une joie juvénile pour saluer le succès triomphal de Boule de Suif.

On n'est pas surpris davantage de lire sous la plume de Maupassant évoquant le souvenir de son maître : “ Je voudrais être mort si j'étais sûr que quelqu'un penserait à moi comme je pense à lui.

” Il a dit : “ Un écrivain doit tenir tous les articles, décrire les marches du trône, comme celles, moins glissantes, des cuisines. ” Il a promené dans tous les mondes une curiosité jamais assouvie ; il l'a menée chez les filles du quartier Breda et chez les nobles dames du faubourg Saint-Germain, chez les financiers et les journalistes, et partout il n'eut souci que de “ l'humble vérité ”.

Ces deux mots, pris pour épigraphe d'Une Vie, il en a fait sa devise.

Ses ouvrages ont tous une sincérité d'accent qui ne trompe pas.

Ils sont exacts aussi bien par leur couleur temporelle que par leur couleur locale.

Pur Normand d'origine, de goûts, d'aspect physique, sans cesse attiré par la mer et fasciné comme tous ceux de sa race par les pays de soleil, il a peint avec la même justesse de touche paysans cauchois ou auvergnats, marins de la Manche et “ mocos ” toulonnais.

Ses paysages valent ses portraits.

Ils ont la qualité des toiles de maître, où jamais l'accessoire ne prend la place de l'essentiel.

L'œil a choisi en observant, il a éliminé ce qui ne devait point durer.

Il a si bien fait, qu'au bout d'un siècle et plus nous reconnaissons sans hésiter ce que la main de l'artiste a fixé en traits définitifs, parce qu'elle sut ne retenir que le permanent. “ J'aurai passé comme un météore...

” Maupassant, en effet, est mort à quarante-trois ans, à la maison de santé du docteur Blanche.

Depuis de longs mois, son intelligence avait sombré dans la folie.

Et déjà la légende voulait que la fécondité du conteur, que son génie, dût tout à la maladie dont il devait mourir.

Légende tenace autant qu'absurde. Absurde parce que la paralysie générale dont est mort Maupassant est une maladie dont l'évolution rapide rend impossible une production aussi régulière, aussi abondante.

Alors, on dit, pour expliquer le paradoxe, que Maupassant écrivit dans un “ état second ”, à peu près inconscient de ce qu'il faisait.

Erreur aussi absurde, appuyée sur le goût de l'écrivain pour les sujets macabres, sur le nombre de fous qu'il a mis en scène dans ses ouvrages.

La vérité est beaucoup plus simple et bien plus dramatique : une lourde hérédité nerveuse : mère névrosée, frère atteint en pleine jeunesse de paralysie générale ; la maladie rôde : elle renouvelle ses attaques sur un organisme affaibli par les exercices violents, par le plaisir aussi, où l'homme qui sait ses jours comptés cherche l'oubli de ses maux, en même temps que l'écrivain demande à l'éther un soulagement aux migraines intolérables.

Il donne au travail forcené le meilleur de lui-même : le “ météore ” sait trop qu'il n'a point le loisir de s'attarder...

Il suit comme tout le monde environ 1885 les discussions soulevées par les cours de Charcot ; et il écrit Le Horla sur un sujet qui lui est donné par Léon Hennique.

Plus tard, on y cherchera la preuve de sa folie ! Mais non.

Ce n'est pas parce que Maupassant est mort fou qu'il a écrit, en dix ans, une œuvre que d'autres auraient mis trente ans à produire, c'est malgré les menaces dont il ne savait que trop la gravité, qu'il a travaillé avec un acharnement d'autant plus méritoire qu'il lui coûtait plus de souffrance. Taine a dit du Champ d'oliviers et du Port que c'était de l'Eschyle ; aujourd'hui, que nous connaissons sa lutte contre un destin qui l'accabla, que nous savons ce que lui coûta une œuvre arrachée à la mort lente qu'il sentait rôder, nous pouvons dire que la tragédie de Maupassant est, elle aussi, comparable à la révolte de Prométhée.

Dans cette page d'histoire littéraire qu'il a laissée, la vérité est plus belle, plus hautement humaine que la légende.. »

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