Gerard Manley Hopkins
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Gerard Manley Hopkins
Gerard Manley Hopkins rima dès l'école et se mit sérieusement à la composition poétique pendant ses années d'Oxford (1863-1867).
Il
passa de l'Anglicanisme à l'Église romaine, après avoir consulté le vieux Newman et, l'Université terminée, il enseigna pendant deux
ans chez les Oratoriens de Birmingham, après quoi il jeta tous ses poèmes au panier et joignit la Compagnie de Jésus (1868).
Absorbé
par sa vocation, il n'écrivit plus pendant sept ans, ce qui ne l'empêcha pas de méditer sur les principes de l'art poétique, surtout
pendant ses années de régence à Roehampton.
En 1875 un bateau allemand, le Deutschland, sombra dans la Tamise et cinq
religieuses y périrent dans des circonstances héroïques.
Le supérieur de Hopkins lui demanda d'écrire un poème en leur honneur et il
produisit The Wreck of the Deutschland, qui lui fournit l'occasion de mettre en oeuvre des conceptions poétiques révolutionnaires,
centrées autour du sprung-rhythm ou "rythme bondissant".
Dans la tradition anglaise, la mesure du vers est déterminée par le nombre
des syllabes, que scandent des ïambes ou des trochées, variés parfois par un dactyle.
Le sprung-rhythm rompt avec la mesure
syllabique et se fonde sur la relation entre des temps forts et des temps faibles, la mesure étant déterminée non par la quantité des
syllabes, mais par la seule valeur du stress ou battement.
Par exemple un vers de neuf syllabes comme : "The sour scythe cringe and
the blear share come", a pour Hopkins la même valeur qu'un vers de dix-neuf syllabes comme : "Finger of a tender of, or of a feathery
delicacy, the breast..." Le rythme du poème est formé à vrai dire d'éléments multiples : le balancement des temps forts et faibles, les
rimes extérieures et intérieures et un système complexe de relations tonales, d'assonances et d'allitérations.
Hopkins prétendait avoir
repris des traditions séculaires de la poésie anglaise telles qu'on les trouve encore dans les nursery-rhymes et les ballades populaires.
Il considérait en outre que son rythme était celui du langage parlé.
N'empêche que le poème consterna son supérieur et ses confrères
et que la revue jésuite The Month n'osa pas le publier.
En 1877, Hopkins reçut les ordres et fut expédié dans des paroisses jésuites à
Londres, Oxford, Liverpool, Glasgow.
Cet intellectuel un peu excentrique paraissait étrange et inexplicable à ses collègues.
Il "ne
pensait pas comme tout le monde" et n'était pas efficient.
Il fut déplacé d'un poste à l'autre et, quel que fût son dévouement, il ne
donna satisfaction nulle part.
Pendant les années 1879-1881, il écrivit une série de poèmes, surtout des sonnets.
Le sonnet anglais
classique, dérivé de Pétrarque est basé sur trois couplets de quatre vers décasyllabiques, suivis d'un couplet de deux vers, avec un
système de rimes précis.
Hopkins jugeait le décasyllabe anglais trop court pour permettre l'envolée désirable et il trouvait que les
autres lois régissant le sonnet ne tenaient compte que de certains effets poétiques et en interdisaient d'autres aussi valables.
Aussi ne
garda-t-il de la forme classique que le squelette, à savoir le total de quatorze vers, qu'il divisa en deux groupes de huit et de six ; il fit
sauter le décasyllabe par sa technique du sprung-rhythm combiné avec des outrides et il s'affranchit de la plupart des autres règles,
pour les remplacer par les siennes propres.
L'outride est une syllabe particulièrement accentuée, comme suspendue en l'air, qui
retombe sur plusieurs syllabes très amorties, le tout formant un pied ; après une pause très brève vient le pied suivant, composé d'un
ou deux temps faibles et d'un temps fort.
Par exemple : "Summer ends now ; now barbarous in beauty the stooks arise around.
What
wind-walks what lovely behaviour of silk-sack clouds !" Hopkins obtient ainsi un effet de contre-rythme, passant d'un rythme
descendant ("barbarous") à un rythme ascendant ("in beauty").
C'est ce qu'il appelle son contrepoint.
Aux innovations rythmiques il
ajoute des innovations morphologiques et syntaxiques suggérées par ces rythmes mêmes : tournures elliptiques, mots composés
comme leafmeal, forefalls, moonmarks, juxtapositions comme silk-sack, earl-star.
Il choisit son vocabulaire principalement parmi les
mots d'origine anglo-saxonne, les monosyllabes de préférence.
Hopkins ne cherche pas seulement par là à renouveler la technique
poétique ; il est en quête d'une forme qui lui permette de mieux exprimer sa vision du monde.
Peu de poètes ont autant philosophé sur
leur art.
Il ne faut pas oublier que Hopkins a fait trois années de noviciat et neuf autres de philosophie et de théologie.
S'il a pu rester
poète en dépit de ces disciplines, c'est parce qu'il a abandonné Thomas d'Aquin pour Duns Scot, pour qui l'objet premier de la
connaissance n'est pas l'essence abstraite mais la réalité individuelle telle qu'elle se présente hic et nunc aux sens.
Le scotisme, dont
nous ne pouvons analyser ici les subtilités, fournit à Hopkins un système qui pouvait justifier et coordonner ses intuitions.
Il avait un
sentiment aigu, pour ne pas dire obsédant, de l'individualité des objets.
Sa philosophie est condensée dans les notions d'inscape et
d'instress, néologismes intraduisibles et qui reviennent souvent dans ses Notes et Lettres.
L'inscape est le principe d'organisation de
tout être, ce que le thème mélodique est pour la musique.
Il est le complexe unifié de ces qualités sensibles des créatures, qui leur
appartiennent à chacune de façon si intime que l'artiste en les saisissant pénètre jusqu'à la source même de leur individualité, et ouvre
son âme à l'énergie vitale qui s'en dégage, et que Hopkins appelle l'instress.
Cet instress n'est pas une qualité sensible, mais le
mystérieux dynamisme en vertu duquel un être existe et agit sur d'autres.
Sur un plan plus profond, l'inscape est l'empreinte du
Créateur sur la créature, qui en fait une réalité personnelle chargée d'influx divin, si bien qu'en appréhendant l'inscape d'un être le
poète non seulement communique avec lui comme avec une personne, mais rejoint Dieu par-delà.
Après les années de vie paroissiale où Hopkins écrivit ces séries de sonnets, il fut envoyé à Stonyhurst, le grand collège jésuite.
En
1884 il fut transféré à l'Université catholique de Dublin, afin d'y enseigner le grec.
Son sentiment de mal ajustement et d'échec
s'intensifia.
Il se sentait épuisé et sombrait dans des crises de découragement neurasthénique.
C'est alors qu'il se décrit comme
"l'eunuque du Temps".
Il ne s'entendait pas avec son entourage irlandais dont le philistinisme et le catholicisme primaire l'oppressaient.
Il exhale ses états d'âme dans les huit "Sonnets terribles", qui sont les plus beaux poèmes qu'il ait écrits, poèmes, où l'angoisse va
jusqu'au désespoir, Il mourut de la fièvre typhoïde à l'âge de quarante-cinq ans, obscur, méconnu de tous sauf de quelques amis dont
l'un heureusement était le poète Robert Bridges, qui conserva ses lettres et les poèmes qu'il avait soumis à son approbation.
Il les
distilla goutte à goutte les années suivantes, dans diverses revues et quand il sentit que le public littéraire s'y habituait et s'y
intéressait, il publia en 1918 la première édition des Collected Poems.
Depuis lors les éditions se sont succédé, les commentaires
s'accumulent et Hopkins est devenu un des maîtres de la poésie anglo-saxonne.
Son oeuvre ne contient que soixante-quinze pièces
complètes dont quarante-sept seulement sont des poèmes de maturité.
Une partie de ceux-ci succombe sous le poids d'un certain
pédantisme baroque.
Mais il reste une vingtaine de poèmes qui sont parmi les réussites les plus remarquables de la littérature
anglaise..
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