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Gérard de Nerval

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Le souvenir de mes belles cousines, ces intrépides chasseresses que je promenais dans les bois, belles toutes deux comme les filles de Léda, m'éblouit encore et m'enivre. Pourtant je n'aimais qu'elle alors. Ces paumes de Gérard de Nerval, qu'il appuie tantôt sur son front ou ses yeux et tantôt contre sa poitrine, sont imprégnées de ce parfum qui nous vient des distances et que nous respirons parfois au lendemain d'un beau jour quand l'imagination, enhardie par un soupçon d'amour, fonde un temps sans limites sur les délices d'un moment. Le regret est une forme du rêve. Cette forme du rêve est la compagne de Gérard de Nerval, une compagne à la fois fidèle et promise qui ne le quitte que pour le devancer et qu'il retrouve en tous lieux, en tout être et en tout instant. Le regret domine son destin comme un point d'interrogation domine le nôtre, il tire les ficelles de ses élans, de ses souvenirs et de ses évasions et guide sa main sur le miroir des pages où l'écrivain grave ses propres traits. Toute l'œuvre de Gérard de Nerval est, dans ce rêve, hanté par les nostalgies, le spleen, qu'on appelait aussi vapeurs anglaises, et que j'appellerai, en pensant à lui, vapeurs du Valois, vapeurs rhénanes et, mieux encore, "Sehnsucht". Au long des demi-jours, des contre-jours, des demi-nuits et des contre-nuits de sa vie, cherchant les émotions de l'oubli que la mémoire lui refuse, il voyage en restant immobile car l'être fidèle se déplace sans bouger. Dans un jardin depuis longtemps abandonné, où des lianes de houblon, de clématite et de jasmin s'étendent d'un arbre à l'autre, il suit une femme qui s'arrête pour enlacer de son bras nu une haute tige de rose trémière, puis se dissipe dans l'infini tandis que les parterres deviennent peu à peu les rosaces et les festons de ses vêtements. ! Oh ! ne me quitte pas, s'écrie-t-il, car la nature meurt avec toi. Au pied des murs de son rêve il ne trouvera et ne relèvera jamais que le buste gisant de celle dont le cœur se resserre à l'approche du sien comme une peur craintive.

« Gérard de Nerval Le souvenir de mes belles cousines, ces intrépides chasseresses que je promenais dans les bois, belles toutes deux comme les filles de Léda, m'éblouit encore et m'enivre.

Pourtant je n'aimais qu'elle alors. Ces paumes de Gérard de Nerval, qu'il appuie tantôt sur son front ou ses yeux et tantôt contre sa poitrine, sont imprégnées de ce parfum qui nous vient des distances et que nous respirons parfois au lendemain d'un beau jour quand l'imagination, enhardie par un soupçon d'amour, fonde un temps sans limites sur les délices d'un moment. Le regret est une forme du rêve.

Cette forme du rêve est la compagne de Gérard de Nerval, une compagne à la fois fidèle et promise qui ne le quitte que pour le devancer et qu'il retrouve en tous lieux, en tout être et en tout instant.

Le regret domine son destin comme un point d'interrogation domine le nôtre, il tire les ficelles de ses élans, de ses souvenirs et de ses évasions et guide sa main sur le miroir des pages où l'écrivain grave ses propres traits.

Toute l'oeuvre de Gérard de Nerval est, dans ce rêve, hanté par les nostalgies, le spleen, qu'on appelait aussi vapeurs anglaises, et que j'appellerai, en pensant à lui, vapeurs du Valois, vapeurs rhénanes et, mieux encore, "Sehnsucht".

Au long des demi-jours, des contrejours, des demi-nuits et des contre-nuits de sa vie, cherchant les émotions de l'oubli que la mémoire lui refuse, il voyage en restant immobile car l'être fidèle se déplace sans bouger.

Dans un jardin depuis longtemps abandonné, où des lianes de houblon, de clématite et de jasmin s'étendent d'un arbre à l'autre, il suit une femme qui s'arrête pour enlacer de son bras nu une haute tige de rose trémière, puis se dissipe dans l'infini tandis que les parterres deviennent peu à peu les rosaces et les festons de ses vêtements.

! Oh ! ne me quitte pas, s'écrie-t-il, car la nature meurt avec toi.

Au pied des murs de son rêve il ne trouvera et ne relèvera jamais que le buste gisant de celle dont le coeur se resserre à l'approche du sien comme une peur craintive. Je traversais un soir les bosquets de Clarens, perdus au nord de Paris dans les brumes, lorsque j'aperçus un homme debout, immobile et penché au beau milieu d'une eau mouvante et légèrement surélevée.

Croyant qu'il s'agissait d'un saint Christophe de rivière, je courus afin de m'en assurer.

Je vis alors un homme qui semblait d'autant plus triste qu'on voyait bien qu'il avait de l'esprit, et d'autant plus étranger à lui-même qu'on voyait bien qu'il s'était inventé.

C'était donc un véritable étranger, un véritable étrange.

Du reste il tenait par la main un jeune garçon en qui je reconnus le petit Gérard Labrunie, son assassin peut-être.

Un firmament d'idéal et de mélancolie abritait et suivait la lenteur du flot, et dans ce firmament tournoyait le vol d'une centaine d'heures transportées là par l'effet d'exigences dont je connais le pouvoir. L'enfant qui dormait à moitié me parut avoir besoin de chaleur et d'avenir.

Quant à l'homme, il ne cherchait pas à l'émouvoir et son grand deuil, je crois, l'encourageait à rêver.

Mais il est possible que je me trompe comme je m'étais trompée en me figurant qu'ils étaient debout sur l'eau d'une rivière alors qu'en réalité ils marchaient très lentement dans une longue nappe de brume qui s'élevait à fleur de terre et ne montait guère plus haut que leurs chevilles.

Je ne sais quel sentiment m'empêcha de les observer ; je ne fis que les regarder et pourtant, à l'instant où ils allaient disparaître dans les bosquets de Clarens, je remarquais que leurs doigts ne se touchaient pas et qu'ils avaient seulement l'air de se tenir par la main.

Il y eut un brusque souffle de vent d'un genre assez rare par un jour de brouillard en automne.

La brume se dissipa, moutonna, s'éparpilla jusqu'au faîte des arbres parmi les branches, en de gros flocons reliés entre eux par des bancs de vapeur plus transparente.

Le vent souffla de nouveau et tous ces éléments légers se mirent à tournoyer.

Des formes, des ombres blanches, des silhouettes, des paysages et même des moments, modelés par le vent, se dégagèrent peu à peu de ce remue-ménage et s'ordonnèrent en un cortège qui défila devant moi à la suite des deux promeneurs que je ne voyais plus.

C'était le cortège des regrets et des obsessions fidèles au plus fidèle des hommes.

Mais comment parler de vérité, mais comment y faire croire alors qu'un souvenir inquiète la raison et souvent l'abolit ? C'était Sylvie, Sylvie que Nerval aimait en pensant à Adrienne, à cette Adrienne qui lui rappelait Aurélie.

Sylvie était entourée d'un air de printemps, un volant de dentelle bordait son décolleté et elle se retournait sans cesse pour agiter tristement ses petits gants vers ses compagnons de jeux et les archers du Valois.

Châteaux de cartes, châteaux de Bohême, châteaux en Espagne, mais Adrienne n'était dans aucun de ces châteaux-là.

Elle courait, jeune châtelaine attirée par un couvent perdu dans les brumes éternelles.

Bruyères et digitales pourprées, colonnades et clair feuillage, Aurélie en amazone avec ses cheveux blonds flottants se promenait dans un bois de peupliers, d'acacias et de pins qui bougeait avec elle.

Un cygne caché sous des fleurs s'envola d'une corbeille et, d'un coup d'ailes dispersa des couronnes que des jeunes gens se disputaient pour les poser chacun sur le front de sa préférée.

Je vis les fleurs des pommiers que Nerval avait vues bien souvent éclater dans la nuit comme des étoiles de la terre.

Mésanges et cascades, halliers et ruisseaux, un éclair fatal illumina le cortège et un cri se fit entendre : Aurélia ! Aurélia, reine des fièvres et des folies, passa gouvernant un enchevêtrement de songes parmi lesquels je distinguais des monstres éclairés par les feux de l'enfer, le corps d'une femme gigantesque, une galerie démesurée où s'abattait l'ange de la mélancolie, un peu de carnaval et un peu d'Italie et des rues d'Allemagne.

La lune, refuge des âmes fraternelles, brillait au-dessus de deux mûriers de Chine à l'ombre desquels se tenaient les belles Chimères.

Claires et glorieuses sous les armes de la poésie, elles m'apparurent comme les gardiennes des sentiments, des images et des pudeurs fantastiques.

Fleur, étoile, fantôme blanc et voilà tout : c'était fini. Les tristes et merveilleux récits de Gérard de Nerval sont l'oeuvre d'un explorateur du chagrin.

Dans sa quête d'oubli, devant son destin qui lui refuse de jamais conquérir l'immense empire d'une main bien-aimée, aucun regret ne le rassure, aucun souvenir ne le console.

Il est vraiment l'Inconsolé.

Des monts du coeur aux gouffres du désespoir, l'amitié qu'il mêle à ses amours encourage sa douleur et fortifie ses illusions.. »

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