Gérard de NERVAL (1808-1855) (Recueil : Odelettes) - Fantaisie
Extrait du document
«
Nerval - Odelettes
« Fantaisie »
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize ; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue...
- et dont je me souviens !
Contexte et éléments pour l’introduction
Le poème à commenter, « Fantaisie », est tiré du recueil Odelettes, composé aux alentours de 1835.
Nerval y a
rassemblé plusieurs pièces qui sont autant de rêveries dans lesquelles le poète exprime un attachement à un passé
idéalisé et intime, d’inspiration chevaleresque et romantique, et qu’il assimile à une forme de vie antérieure – le thème
de la réminiscence est particulièrement présent dans « Fantaisie ».
Le terme « odelettes » renvoie à une forme
poétique pratiquée au XVIè siècle, redécouverte, ainsi que de nombreuses formes poétiques anciennes, par les jeunes
écrivains romantiques dont Nerval fait partie : par là, Nerval se rattache à la tradition poétique antérieure en même
temps qu’il assimile intimement ce passé en en faisant le lieu de sa rêverie.
Le titre, « Fantaisie », a deux sens : il renvoie d’abord à la puissance de l’imaginaire, célébrée par Nerval, mais une
« fantaisie » est aussi une forme musicale libre particulièrement prisée par les romantiques, notamment par Chopin :
par là, le titre annonce la teneur musicale du poème, puisque c’est un « air » de musique qui éveille l’évocation décrite
dans le poème et que Nerval met ici en œuvre une écriture poétique extrêmement musicale.
Il faut d’ailleurs remarquer
que, dans l’ensemble de l’œuvre de Nerval, la musique et le souvenir sont étroitement liés : ce sont souvent des airs
anciens qui éveillent les rêveries nostalgiques (penser par exemple à la chanson ancienne entonnée par Adrienne dans
Sylvie).
Ce double sens du mot « fantaisie » offre des clés de lecture pour le texte : on remarque d’abord que le poème se
décompose en deux temps, le premier temps, composé du premier quatrain, étant consacré à la célébration d’un air de
musique cher au poète, le second temps, comprenant les trois autres quatrains, s’attachant à décrire les évocations
éveillées par cet air.
Ce passage d’un sens à un autre se fait sur le mode du glissement, ou plus précisément de la
synesthésie, et non sur le mode de l’énumération ; cela signifie qu’il va falloir mettre en valeur les glissements par
lesquels l’évocation poétique passe de l’air musical au souvenir imaginé, puis enfin au souvenir réel – puisque la chute
du poème célèbre, dans une exclamation, la réalité de ce souvenir, qui n’est pas une réalité du concret mais une réalité
de l’imaginaire : tout le poème s’articule autour de cet apparent paradoxe, tout en articulant, sur le mode de la rêverie,
le musical et le visuel.
Eléments pour le développement
NB : les éléments donnés ici ne sont volontairement pas composés en plan abouti pour un commentaire ; ils
ne font que mettre en lumière les éléments à commenter : il vous revient de hiérarchiser ces éléments en
fonction de votre propre lecture du texte.
I.
Le rôle de la musique dans le poème : une évocation magique
- La musique est thématiquement présente dans le titre du poème, nous l’avons vu, mais elle est aussi le sujet majeur
du premier quatrain.
Le poète parle d’un « air », c’est-à-dire d’un morceau indéterminé qui existe plus par l’impression.
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