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François de La Rochefoucault, Maximes, Réflexions Diverses, XI. Du rapport des hommes avec les animaux

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François de La Rochefoucault, Maximes, Réflexions Diverses, XI. Du rapport des hommes avec les animaux Il y a autant de diverses espèces d'hommes qu'il y a de diverses espèces d'animaux, et les hommes sont, a l'égard des autres hommes, ce que les différentes espèces d'animaux sont entre elles et à l'égard les unes des autres. Combien y a-t-il d'hommes qui vivent du sang et de la vie des innocents : les uns comme des tigres, toujours farouches et toujours cruels; d autres comme des lions, en gardant quelque apparence de générosité; d'autres comme des ours, grossiers et avides ; d'autres comme des loups ravissants et impitoyables ; d'autres comme des renards, qui vivent d'industrie, et dont le métier est de tromper ! Combien y a-t-il d'hommes qui ont du rapport aux chiens ! Ils détruisent leur espèce ; ils chassent pour le plaisir de celui qui les nourrit; les uns suivent toujours leur maître, les autres gardent sa maison. Il y a des lévriers d'attache, qui vivent de leur valeur qui se destinent a la guerre, et qui ont de la noblesse dans leur courage ; il y a des dogues acharnés, qui n'ont de qualité que la fureur; il y a des chiens, plus ou moins inutiles, qui aboient souvent, et qui mordent quelquefois ; il y a même des chiens de jardinier. II y a des singes et des guenons qui plaisent par leurs manières, qui ont de l'esprit, et qui font toujours du mal : il y a des paons qui n'ont que de la beauté, qui déplaisent par leur chant, et qui détruisent les lieux qu'ils habitent. II y a des oiseaux qui ne sont recommandables que par leur ramage et par leurs couleurs. Combien de perroquets qui parlent sans cesse, et qui n'entendent jamais ce qu'ils disent ; combien de pies et de corneilles, qui ne s'apprivoisent que pour dérober; combien d'oiseaux de proie, qui ne vivent que de rapines; combien d'espèces d'animaux paisibles et tranquilles, qui ne servent qu'à nourrir d'autres animaux ! Il y a des chats, toujours au guet, malicieux et infidèles, et qui font patte de velours ; il y a des vipères dont la langue est venimeuse, et dont le reste est utile ; il y a des araignées, des mouches, des punaises et des puces, qui sont toujours incommodes et insupportables ; il y a des crapauds, qui font horreur, et qui n'ont que du venin ; il y a des hiboux, qui craignent la lumière. Combien d'animaux qui vivent sous terre pour se conserver ! Combien de chevaux, qu'on emploie à tant d'usages, et qu'on abandonne quand ils ne servent plus ; combien de bœufs, qui travaillent toute leur vie, pour enrichir celui qui leur impose le joug; de cigales, qui passent leur vie à chanter; de lièvres, qui ont peur de tout; de lapins, qui s'épouvantent et se rassurent en un moment; de pourceaux, qui vivant dans la crapule et dans l'ordure ; de canards privés, qui trahissent leurs semblables, et les attirent dans les filets; de corbeaux et de vautours, qui ne vivent que de pourriture et de corps morts ! Combien d'oiseaux passagers, qui vont si souvent d'un monde à l'autre, et qui s'exposent à tant de périls, pour chercher à vivre ! Combien d'hirondelles, qui suivent toujours le beau temps ; de hannetons, inconsidérés et sans dessein; de papillons, qui cherchent le feu qui les brûle ! Combien d'abeilles, qui respectent leur chef, et qui se maintiennent avec tant de règle et d'industrie ! Combien de frelons, vagabonds et fainéants, qui cherchent à s'établir aux dépens des abeilles ! Combien de fourmis, dont la prévoyance et l'économie soulagent tous leurs besoins ! Combien de crocodiles, qui feignent de se plaindre pour dévorer ceux qui sont touchés de leurs plaintes ! Et combien d'animaux qui sont assujettis parce qu'ils ignorent leur force ! Toutes ces qualités se trouvent dans l'homme, et il exerce, à l'égard des autres hommes, tout ce que les animaux dont on vient de parler exercent entre eux.

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