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Fiodor Dostoïevski

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Kierkegaard et Dostoïevski ont été les premiers, au XIXe siècle, et les seuls d'une manière aussi éclatante, à annoncer que le nihilisme ne comporte qu'un remède, celui de la foi, et précisément de la foi chrétienne, parce qu'il est uniquement le produit de la méfiance et de la haine. Pas de solutions rationnelles possibles, donc, dans les domaines de la philosophie et de la politique, car la raison n'a pas de prise sur la violence lorsque celle-ci ne se reconnaît pas de règle en-dehors des siennes : au contraire même alors elle n'en est plus que la domestique ridicule et bafouée. Il est vrai que l'un, c'est plutôt sur le mode théologique, l'autre surtout par le moyen du roman. Mais il ne faut sans doute voir là que les aspects un peu monstrueux, presque caricaturaux, de nos deux façons principales de vivre et de penser en Europe, je veux dire celle de la connaissance a priori et celle de la connaissance a posteriori. Elles restent partout mal ajustées l'une à l'autre. Et en plus, notre Occident et notre Orient ne les ont pas développées dans les mêmes proportions. J'ai cité Kierkegaard ici pour qu'on n'oublie pas, cependant, ce magnifique exemple d'un accord fondamental, masqué certes, et peut-être également rompu du même coup, par des différences d'allure dans la recherche et l'expression, mais qui ne doivent pas faire croire à des entreprises irréductibles l'une à l'autre. Là, il s'agit de reconstruire notre unité en Dieu, après le nihilisme. Avant d'abandonner Kierkegaard, qui n'a pas autrement sa place ici, je noterai encore qu'il faut se demander si, dans les deux cas, il ne s'agit pas d'une véritable conversion. Kierkegaard a eu trop peur du désespoir et du silence pour ne pas avoir été tenté par eux plus qu'intellectuellement, et Dostoïevski a d'abord été, sûrement, au cours de son adolescence, en esprit au moins, le rebelle, le progressiste, l'athée probablement aussi, bref le socialiste du type messianique russe, dont il paraît s'être donné pour tâche, pendant ses dix années dernières principalement, de sauver la Russie et l'Europe entière. La solution qu'il cherche, il ne pourra la trouver cependant qu'à travers les générations de l'avenir, et peut-être même ne devra-t-il compter que sur les enfants de celles-ci. Car le chemin qui va du nihilisme à l'espérance est long et dur.

« Fiodor Dostoïevski Kierkegaard et Dostoïevski ont été les premiers, au XIXe siècle, et les seuls d'une manière aussi éclatante, à annoncer que le nihilisme ne comporte qu'un remède, celui de la foi, et précisément de la foi chrétienne, parce qu'il est uniquement le produit de la méfiance et de la haine.

Pas de solutions rationnelles possibles, donc, dans les domaines de la philosophie et de la politique, car la raison n'a pas de prise sur la violence lorsque celle-ci ne se reconnaît pas de règle en-dehors des siennes : au contraire même alors elle n'en est plus que la domestique ridicule et bafouée. Il est vrai que l'un, c'est plutôt sur le mode théologique, l'autre surtout par le moyen du roman.

Mais il ne faut sans doute voir là que les aspects un peu monstrueux, presque caricaturaux, de nos deux façons principales de vivre et de penser en Europe, je veux dire celle de la connaissance a priori et celle de la connaissance a posteriori.

Elles restent partout mal ajustées l'une à l'autre.

Et en plus, notre Occident et notre Orient ne les ont pas développées dans les mêmes proportions.

J'ai cité Kierkegaard ici pour qu'on n'oublie pas, cependant, ce magnifique exemple d'un accord fondamental, masqué certes, et peut-être également rompu du même coup, par des différences d'allure dans la recherche et l'expression, mais qui ne doivent pas faire croire à des entreprises irréductibles l'une à l'autre.

Là, il s'agit de reconstruire notre unité en Dieu, après le nihilisme. Avant d'abandonner Kierkegaard, qui n'a pas autrement sa place ici, je noterai encore qu'il faut se demander si, dans les deux cas, il ne s'agit pas d'une véritable conversion.

Kierkegaard a eu trop peur du désespoir et du silence pour ne pas avoir été tenté par eux plus qu'intellectuellement, et Dostoïevski a d'abord été, sûrement, au cours de son adolescence, en esprit au moins, le rebelle, le progressiste, l'athée probablement aussi, bref le socialiste du type messianique russe, dont il paraît s'être donné pour tâche, pendant ses dix années dernières principalement, de sauver la Russie et l'Europe entière.

La solution qu'il cherche, il ne pourra la trouver cependant qu'à travers les générations de l'avenir, et peut-être même ne devra-t-il compter que sur les enfants de celles-ci.

Car le chemin qui va du nihilisme à l'espérance est long et dur. Les grandes œuvres de sa maturité constituent, en somme, deux groupes, auxquels L'Adolescent (1875) et le Journal d'un écrivain (1873-1880) servent de charnière.

Crime et Châtiment (1866) et L'Idiot (1868) d'une part, Les Possédés (1871-1872) et Les Karamazov (1879-1880) d'autre part.

Dans le premier groupe, le drame reste purement privé, dans le second il devient social.

Et de l'un à l'autre, le mal qui est mis en cause s'amplifie jusqu'à prendre les dimensions d'une catastrophe à peu près inévitable, menaçant tout ce que nous appelons la civilisation.

Le meurtre commis par Raskolnikov, les passions qui s'agitent autour du prince Mychkine ne sont encore que de l'ordre du fait divers à côté de la tentative de révolution qui bouleverse la "ville" où se situe l'action des Possédés, et de l'affaire Karamazov.

Or c'est dans l'intervalle entre les deux groupes que Dostoïevski a noté, je renvoie là aux Carnets où il élaborait Les Possédés (janv.

1870), le projet suivant de dialogue entre deux personnages significatifs : "Le Prince (de plus en plus dur).

Vous comprenez bien ce qui est l'essentiel là-dedans ? C'est que la foi chrétienne est le salut du monde et qu'elle est seule à pouvoir l'être.

Voilà comment nous avons conclu et à quoi nous croyons, premièrement.

Ensuite, deuxième point, c'est que la foi chrétienne existe en Russie seulement, sous la forme de l'orthodoxie.

Chatov (l'interrompant).

Ainsi la Russie sauvera le monde et le régénérera par l'orthodoxie ? Le Prince (froidement).

Si elle continue à croire.

Mais est-il possible de croire ? (Philosophie de l'estomac.) Or, justement, nous savons tous les deux que c'est de la blague.

De sorte que tout est là : peut-on croire ?" Dans ses deux derniers romans, ce que Dostoïevski nous montre, ce ne sont plus seulement les chevaliers errants du romantisme russe, aucun ne travaille, en proie à leur infernal besoin de faire craquer la vie, quand ce ne serait que dans leur petite sphère, mais la vie elle-même, avec toutes ses structures politiques et religieuses, qui est secouée de fond en comble et qui va s'effondrer.

Nous n'avons guère tiré de ces histoires jusqu'ici, chez nous, qu'une leçon de sincérité et de constance dans la cruauté, si l'on ne compte pas pour trop l'imitation dans la technique romanesque.

Mais l'indifférence à la mort et la nostalgie d'une parole qui ne taise rien de ce qui se produit ne sont qu'une monnaie courante dans l'exercice de la liberté telle qu'on la conçoit en Russie.

Ce n'est pas elles que Dostoïevski a voulu nous enseigner, il ne pouvait les considérer, avec tout le monde autour de lui, que comme dues, aux autres comme à soi.

Non, ce qu'il a cherché, pour lui-même d'abord, pour nous tous ensuite, par nécessité, c'est la guérison : la santé, la paix et la joie.

Non pas tout petitement les plaisirs du mépris et de l'insoumission, la lucidité toute seule, ou l'art encore moins, sinon comme un instrument.

Dostoïevski n'est pas un écrivain, c'est un journaliste, un militant, un prophète.

Même pas la charité du saint, qui est bien incertaine, mais d'une façon plus ambitieuse le triomphe du bien et les moyens de cette victoire. Il y faudrait comme un miracle, certes.

Sonia, c'est par la résurrection de Lazare qu'elle communique avec Raskolnikov ; elle lui en lit le compte rendu inscrit dans l'Évangile et il commence à accepter.

Aliocha, lorsqu'il rebondit après la mort de son maître Zossima, et son désespoir de l'avoir vu pourrir si vite, c'est parce qu'il vient d'entendre le récit des Noces de Cana.

A la base, c'est toujours l'humilité, la confiance, l'attente patiente et ouverte, en un mot la chair de la vérité, qui fait face aux appétits et à leurs raisonnements irréfutables.

Mais, à elles seules, elles ne suffisent pas, car l'esprit ne cède qu'à plus fort qu'elles et sans doute trop tard.

Sonia ne serait rien sans la Providence ; le prince Mychkine finit lamentablement, comme écrasé par l'infini sur lequel la pitié débouche ; le vieux Verkhovenski, Stepan Trophimovitch, l'homme à la beauté sauvera le monde, n'est qu'un grotesque ; le Makar de L'Adolescent est une sorte de vagabond hors du monde ; et Aliocha, son seul recours est l'évasion de Dmitri après l'erreur judiciaire, qui n'est au fond qu'une vengeance, son seul espoir semble être dans les enfants qui. »

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