Félix Lope de Vega
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Félix Lope de Vega
Félix Lope de Vega Carpio est né à Madrid en 1562 et commence, dans ses études, à manifester cette gloutonnerie et cette vélocité qui
devaient marquer toutes ses activités.
Destiné aux ordres, il se fait d'abord soldat, puis poète et amoureux.
Comme pour tant de héros
de la Renaissance, on peut diviser son existence en périodes à chacune desquelles préside un nom de femme.
Et la période la plus
ardente sera la première, celle qu'il a décrite dans son autobiographie de la Dorotea et pendant laquelle il aima Elena Osorio, fille et
femme de comédiens.
Ces amours, contées dans cette oeuvre composite, mélangée de naturalisme caravagesque et de pédantisme
conceptiste, finissent dans un imbroglio de pamphlets infamants, de lettre volée, de chantage, de procès.
Lope est jeté en prison et
condamné à l'exil ; il enlève une jeune fille, Isabel de Urbina, l'épouse sous la menace d'un nouveau procès, la plante là, s'engage
dans l'Invincible Armada et, dans la bataille, emploie ses manuscrits en guise de bourre pour son mousquet.
A Valence il retrouve
Isabel et en a deux filles qui mourront toutes jeunes.
L'exil achevé, il se rapproche de Madrid et devient familier du duc d'Albe.
Isabel
meurt, le règne de Micaela commence, une belle comédienne de qui il aura sept enfants, dont Marcela qui se fera religieuse.
En 1598 il
fait un riche mariage, puis il s'installe définitivement à Madrid.
Sa dernière maîtresse, célébrée sous le nom d'Amarillis, deviendra folle,
recouvrera la raison et mourra aveugle trois ans avant lui.
Cette existence n'eût pas été complète si elle n'avait pas été mêlée à celle
de gentilshommes illustres et ornée de charges et d'emplois, si enfin tant de désordres n'avaient eu le contrepoids de crises de
dévotion et si Frey Lope de Vega, familier du Saint-Office et membre de nombreuses congrégations, n'avait écrit des poèmes
ascétiques et mis à flageller sa chair autant de véhémence qu'à l'assouvir.
Ses funérailles, en 1635, furent une apothéose, où culmine
un moment singulièrement pathétique, lorsque le cortège funèbre fit halte sous les grilles du couvent des Trinitaires déchaussées où
vivait recluse Sor Marcela, la fille chérie du glorieux poète.
A une telle prodigalité du coeur et des actions correspondit une fantastique prodigalité du génie.
Les Rubens triomphants, les virtuoses
de l'école du fa presto, tous ces furieux décorateurs qui empliront le siècle de leurs prestiges plafonnants paraîtront encore lents et
timides à côté de Lope de Vega, "phénix des esprits", "poète du ciel et de la terre".
A peine ose-t-on dénombrer son oeuvre : des
romans en prose, des nouvelles, des poèmes, la Beauté d'Angélique qui a onze mille vers, la Circé qui en a trois mille, la Jérusalem
conquise qui a vingt chants, la Dragontea consacrée au pirate anglais Drake et la Gatomachie, consacrée aux amours de la chatte
Zapaquilda et des chats Marramaquiz et Micifuf, sans compter les poésies lyriques, religieuses, didactiques, enfin le théâtre.
C'est à
onze ou douze ans que le monstre commence sa production dramatique, qui comprendra près de 1 800 pièces il nous en reste 470 et
qui embrasse tous les sujets, la création du monde comme la découverte de l'Amérique, et tous les genres, l'historique, le pastoral et
le chevaleresque, la comédie de moeurs, la comédie d'intrigue, la comédie de cape et d'épée, la vie de saint, la fable mythologique.
On ne saurait s'attendre à ce que ces pièces fussent écrites dans un langage d'une perfection soutenue.
La comedia qui est le nom
consacré du genre national dont Lope est vraiment le créateur, est écrite dans cette versification octosyllabique chère à l'Espagne et
qui se montre tour à tour pompeuse et vulgaire, et en général assez lâche, souple et coulante.
Elle se resserrera avec Calderon pour
produire ce lyrisme conceptiste dont la magnificence un peu mécanique éblouira Shelley et les Romantiques allemands.
Chez Lope de
Vega, ce n'est pas quand elle se resserre et s'intellectualise que cette versification atteint au succès.
Sans doute connaît-elle certaines
ressources et certains effets.
Car Lope a parcouru toutes les gammes de l'art et toutes celles du sentiment.
Et il a certains éclats de
galanterie chevaleresque qui sont admirables.
Lorsqu'il délaisse l'octosyllabique pour le vers héroïque il produit, par exemple, des
sonnets qui s'égalent aux plus somptueux de la Renaissance.
Mais là où son génie est le plus personnel, c'est lorsqu'il retrouve le ton
populaire.
Génie essentiellement démocratique, Lope a semé dans ses oeuvres d'innombrables chansons, séguedilles, airs à danser,
rondes paysannes, d'une simplicité et d'un tour ravissants, la fraîcheur même.
Quelques-unes de ses comedias les plus charmantes
sont ces tableaux de moeurs où les conversations galantes, les promenades, les observations pittoresques et piquantes se manifestent
avec tant de vie et par lesquels Lope apparaît comme un précurseur du jovial Goya des Tapisseries.
Voilà où est le Lope inimitable, de
même que dans tous les drames où le peuple intervient, avec sa fierté, avec le sentiment de sa noblesse et de son honneur qui valent
bien ceux des gentilshommes : Peribanez et le commandeur d'Ocana ou l'impétueux Fuenteovejuna, véritable drame "unanimiste"
avant la lettre, puisque c'est un village, l'âme collective d'un village qui, contre la despotique féodalité, y joue le premier rôle.
Un tour populaire, une vivacité qui peut aller jusqu'au sentiment épique, son enjouement, sa passion font la grandeur de Lope de Vega
: ils font aussi sa limite.
Dans le Moulin, il y a des scènes qui sont sur le point de rejoindre Shakespeare et, d'une façon précise, des
situations qui rappellent Asyou like it : mais nous n'y trouvons ni Jacques le Mélancolique, ni cette philosophie profonde qui, chez
Shakespeare, résonne comme une musique, inépuisable.
Le Châtiment sans vengeance commence avec autant d'entrain pathétique
qu'un drame élizabéthain et s'achève en un rituel conformiste, ce rituel religieux et social de l'honneur qu'observe séculairement la
tribu espagnole.
Le titre même indique que, dans l'holocauste de l'épouse coupable, il s'agit bien d'un rite et non de l'assouvissement
d'une passion ; et cependant jusqu'au dernier acte, qui est celui où s'accomplit le rite, il règne dans cette pièce une liberté et une
chaleur extraordinaires et, comme partout chez Lope, du mouvement : un mouvement qui va jusqu'à l'allégresse irréfléchie,
l'insouciance, le désordre et qui est une valeur de vie plutôt qu'une valeur d'art.
En conséquence, lorsque cette verve est épuisée, Lope
aime mieux tomber dans le mécanique et dans le conventionnel que de se hausser, à force d'art, à la grande vérité tragique.
Le Chien
du jardinier, qui aurait pu être une comédie morale et psychologique d'une si profonde humanité, nous choque par sa grossièreté
facile.
Mais c'est que Lope va au plus facile et, en fin de compte, il faut convenir que cette facilité emporte toutes les résistances.
En fin
de compte il faut se dire qu'on est au théâtre et s'abandonner à l'autoritaire et endiablée séduction d'un prodigieux homme de théâtre.
En fin de compte il faut rendre les armes à ce génie tumultueux, l'un des plus éloignés qui aient jamais été de toute notion de
perfection, mais l'un de ceux qui ont possédé le plus pleinement cette qualité singulière : la grâce..
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