En quoi la reprise d'une figure mythique dans une oeuvre peut-elle nous intéresser ?
Extrait du document
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L'usage massif de la matière mythique dans les oeuvres modernes pose un paradoxe : Pourquoi recourir à des
mythes forgés jadis pour s'adresser à une public contemporain ? Ne vaudrait-il pas mieux créer une mythologie
nouvelle pour une société nouvelle ? Si tel est le cas, comment expliquer le très grand succès de la figure
mythologique, chez les auteurs aussi bien qu'auprès des spectateurs, en littérature autant qu'au cinéma où même
dans les médiums les plus modernes ?
Le mythe, solidaire de la définition de soi-même
L'intérêt le plus manifeste et le plus fréquemment rappelé de la reprise du mythe antique n'est pas
exclusivement littéraire : il s'agit en effet d'un intérêt à la fois psychologique et historique.
L'étude des mythes
nous renseigne avant tout sur les cosmogonies, les structures mentales et intellectuelles des civilisations passées.
Aussi, le traitement moderne d'un mythe ancien permet de lire le message apporté par le mythe dans une
perspective moderne, et se faisant d'enrichir le mythe d'interprétation nouvelles : a ce titre, l'exemple célèbre du
mythe d'Oedipe interprété par la psychanalyse fournit un exemple de cette tendance de la pensée moderne à se
construire elle-même en perspective de son origine.
La mythocritique, en effet, se distingue de l'Histoire des mythes en ce qu'elle ne fait pas la description de
légendes anciennes, mais qu'elle traite le mythe au présent : ainsi, lorsque Kierkegaard s'inspire du personnage de
Don Juan pour écrire son Journal du séducteur, son but n'est pas de traiter de la figure du séducteur ni de sa
signification ; le regard porté sur le héros est un regard porté sur soi-même.
De ce point de vue, le mythe n'est pas
dissociable de l'humain qui l'entende et le retranscrit.
Ce n'est pas par choix que les auteurs modernes s'inspirent si
fréquemment des figures mythiques : ces dernières sont des motifs à partir desquels tout individu se construit, soit
par admiration, soit par répulsion.
Bien plus les mythes se constituent en un véritable langage symbolique, aussi
prégnants que le langage réel.
Ne parle-t-on pas d'une force herculéenne, d'un calme olympien, d'un vrai déluge...
?
Le mythe comme outil littéraire
Moyen pour l'auteur d'entrer en discussion avec les figures apprises : la reprise du mythe est un moyen pour
l'auteur d'interroger sa propre culture, et donc ce qui le constitue lui-même.
En quelque sorte, toute oeuvre
littéraire est mythique en soi : elle s'écrit en perspective de tout ce que l'auteur a connu.
Faire une oeuvre de
langage, c'est toujours réécrire.
Le vol d'Icare de Raymond Queneau : roman d'un personnage de roman échappé de
son livre, qui s'efforce de vivre dans le Paris de la Belle Epoque, mais dont les activités le poussent insensiblement
vers l'aviation, et donc la répétition de la chute à laquelle il est destiné.
Ainsi, la liberté de la figure mythique, celle
de l'auteur et celle du lecteur ne peuvent être conçues indépendamment de leur horizon mythique.
Ce qui est ordinairement appelé « mythe » peut donc être étendu à l'ensemble des figures qui matérialisent
un désir ou une émotion de l'individu.
La figure mythique perd son caractère figé dès lors qu'elle est reprise et
transformée par le monde moderne, qui lui imprime spontanément les problématiques qui lui sont spécifiques.
Par
exemple, le poème médiéval épique La Chanson des Niebelungen, tiré du folklore germanique et adapté à l'opéra par
Wagner, prend une signification nouvelle dans le contexte de la fin du XIXe siècle, et parle soudain en faveur d'une
unité de la culture allemande, dimension qu'elle ignorait complètement auparavant.
De même, force est de
reconnaître une tendance du cinéma américain à attribuer aux mythes qu'il interprète des enjeux nés de la pensée
et de l'organisation sociale protestante.
Le mythe, une chose vivante
La critique littéraire moderne aime à souligner la ressemblance phonique entre l'étymologie grecque du mot
« mythe », « mythos », avec le verbe latin « mutare », qui signifie se déplacer, se modifier.
Les mythes, comme les
sociétés, ne sont pas des figures figées, mais évoluent par croisement et par adaptation au milieu.
Pour toute figure
mythique, il est possible de dresser un tableau généalogique : le Docteur Jekyll du roman de Stevenson naît ainsi
d'un croisement dieu latin Janus et du motif de l'élixir magique.
Par la suite, le docteur Jekyll inspire lui-même la
bande dessinée américaine à travers le personnage de l'incroyable Hulk.
En ce sens, il n'existe pas à proprement
parler de « reprise d'une figure mythique », puisque c'est la filiation des reprises elle-même qui finit par s'organiser
en mythe.
Le mythe n'est donc pas réductible à sa première manifestation.
Il n'est pas le texte écrit qui le fait
connaître, mais la structure de son récit.
Rien ne s'oppose donc à ce qu'il soit modifié jusqu'à être méconnaissable.
Qui reconnaîtrait dans Les sept samouraï, le film d'Akira Kurosawa, une version du mythe de Thésée ? Dans un
mythe, le contexte, le nom ou l'apparence des protagonistes sont variables à l'infini : le mythe n'est pas un conte
déjà récité, il un pur mécanisme narratif.
Les reprises des grandes figures mythiques font plus qu'intéresser un lecteur curieux de découvrir une
version nouvelle d'un récit qu'il connaît et qu'il aime : elles vont jusqu'à permettre de déterminer la façon dont se
comporte l'imagination humaine : par croisements, hybridations, compositions.
L'intérêt de la réécriture du mythe est
ainsi d'un intérêt vital pour les sciences humaines, qu'elles soient attachées à l'individu (la psychologie, la
psychanalyse...) qu'à un groupe humain tout entier (les sciences politiques, sociales...).
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