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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les villages illusoires) - La vieille

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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les villages illusoires) - La vieille Comme des mains Coupées, Les feuilles choient sur les chemins, Les prés et les cépées. La vieille au mantelet de cotonnade, Capuchon bas jusqu'au menton, A sauts menus, sur un bâton, Trimballe aux champs sa promenade. Taupes, souris, mulots et rats Trottent et radotent après ses pas. Les troncs et les taillis se parlent ; Et les oiseaux : hérons, grèbes et harles, Font comme une bataille d'ailes Et de signes, au-devant d'elle. Sut-on jamais de quels pays elle est venue ? Des bateleurs qui s'en venaient d'ailleurs Un dimanche, sur les routes, l'ont reconnue. A-t-elle aimé les Nixes d'or ? Peut-être. Mais rien n'est sûr, sinon qu'aux temps lointains, un prêtre Exorcisa ses mains qui foudroyaient les fleurs. Depuis, elle a choisi sa retraite et son lot, Sur un coteau qui domine les plaines, D'où chacun sait qu'elle guette les clos, Par sa fenêtre à poussiéreux carreaux, Le soir, tout en mêlant les écheveaux De ses bontés ou de ses haines. Son pauvre toit, là-bas, semble un oiseau broyé, Contre les dunes par quelque vent sauvage, Et qui fouille le sable, avec toute la rage De ses pattes et de ses ailes reployées. Les feuilles choient sur les chemins Immensément de bruines trempés, Comme des mains Coupées. Qu'on l'aime ou qu'on l'exècre, elle s'en va Sur le destin réglant son pas Elle est mystère ou certitude, Selon ses vagues attitudes Devant la joie ou le tourment ; Ceux qui voient clair, parmi les choses ignorées, Vous expliquent comment Elle serait l'âme de la contrée. Ame d'entêtement et de mélancolie, Qui se penche vers des secrets perdus Et se mire, dans les miroirs fendus Des vieilles choses abolies. Ame de soir fumeux ou de matin brumal, Ame d'amour sournois ou de haine finaude Qui s'en allant au bien, qui s'en allant au mal, Y va toujours comme en maraude. Les feuilles choient sur les chemins, Immensément de bruines trempés, Comme des mains Coupées.

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