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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les moines) - Rentrée des moines

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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les moines) - Rentrée des moines I On dirait que le site entier sous un lissoir Se lustre et dans les lacs voisins se réverbère ; C'est l'heure où la clarté du jour d'ombres s'obère, Où le soleil descend les escaliers du soir. Une étoile d'argent lointainement tremblante, Lumière d'or dont on n'aperçoit le flambeau, Se reflète, mobile et fixe, au fond de l'eau Où le courant la lave, avec une onde lente. A travers les champs verts s'en va se déroulant La route dont l'averse a creusé les ornières ; Elle longe les noirs massifs des sapinières Et monte au carrefour couper le pavé blanc. Au loin scintille encore une lucarne ronde Qui s'ouvre ainsi qu'un oeil dans un pignon rongé ; Là, le dernier reflet du couchant s'est plongé Comme, en un trou profond et ténébreux, la sonde. Et rien ne s'entend plus dans ce mystique adieu, Rien - le site vêtu d'une paix métallique Semble enfermer en lui, comme une basilique, La présence muette et nocturne de Dieu. II Alors les moines blancs rentrent aux monastères Après secours portés aux malades des bourgs, Aux laboureurs ployés sous le faix des labours Aux gueux chrétiens qui vont mourir, aux grabataires, A ceux qui crèvent seuls, mornes, sales, pouilleux, Et que nul de regrets ni de pleurs n'accompagne Et qu'on enterrera dans un coin de campagne, Sans qu'on lave leur corps ni qu'on ferme leurs yeux, Aux mendiants mordus de misères avides, Qui, le ventre troué de faim, ne peuvent plus Se béquiller là-bas vers les enclos feuillus Et qui se noient, la nuit, dans les étangs livides. Et tels les moines blancs traversent les champs noirs, Faisant songer au temps des jeunesses bibliques Où l'on voyait errer des géants angéliques, En longs manteaux de lin, dans l'or pâli des soirs. [...]

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