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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les flammes hautes) - La chance

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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les flammes hautes) - La chance En tes rêves, en tes pensées, En ta main souple, en ton bras fort, En chaque élan tenace où s'exerce ton corps La chance active est ramassée. Dis, la sens-tu, prête à bondir Jusques au bout de ton désir ? La sens-tu qui t'attend, et te guette et s'entête A éprouver quand même, et toujours, et encor Pour ton courage et pour ton réconfort Le sort ? Ceux qui confient aux flots et leurs biens et leurs vies N'ignorent pas qu'elle dévie De tout chemin trop régulier ; Ils se gardent de la lier Avec des liens trop durs au mât de leur fortune ; Ils savent tous que, pareille à la lune, Elle s'éclaire et s'obscurcit à tout moment Et qu'il faut en aimer la joie et le tourment. En tes rêves, en tes pensées, En ta main souple, en ton bras fort, En chaque élan tenace où s'exerce ton corps La chance active est ramassée. Et tu l'aimes d'autant qu'elle est risque et danger, Que balançant l'espoir comme un levier léger Elle va, vient et court au long d'un fil qui danse. Il n'importe que le calcul et la prudence Te soient chemins plus sûrs pour approcher du but. Tu veux l'effort ardent qui ne biffe et n'exclut Aucune affre crédule au seuil de la victoire Et tu nourris ainsi comme malgré toi Ce qui demeure encor de ton ancienne foi En ton vieux coeur contradictoire. La chance est comme un bond qui s'ajoute à l'élan Et soudain le redresse au moment qu'il s'affaisse. Elle règne au delà, de la stricte sagesse Et de l'ordre précis, minutieux et lent. Elle est force légère et sa présence allie On ne sait quelle intense et subtile folie Au travail ponctuel et chercheur des cerveaux. Elle indique d'un coup le miracle nouveau. Les hommes que la gloire aux clairs destins convie Ont tous, gràce à son aide, incendié leur vie De la flamme volante et rouge des exploits. Ils ont crié que la fortune était leur droit Et l'ont crié si fort qu'ils ont fini par croire Qu'ils tenaient l'aile immense et blanche des victoires Sous les poings rabattus de leur ténacité. Oh ! dis, que n'auraient-ils réussi ou tenté En notre âge d'orgueil, de force et de vertige Où le monde travaille à son propre prodige ? En ta main souple, en ton bras fort, En chaque élan tenace où s'exerce ton corps, En tes rêves, en tes pensées, La chance active est ramassée.

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