Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les ailes rouges de la guerre) - Ceux de Liége
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                    Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les ailes rouges de la guerre) - Ceux de Liége Dût la guerre mortelle et sacrilège  Broyer notre pays de combats en combats,  Jamais, sous le soleil, une âme n'oubliera  Ceux qui sont morts pour le monde, là-bas  A Liége. Ainsi qu'une montagne  Qui marcherait et laisserait tomber par chocs  Ses blocs  Sur les villes et les campagnes,  S'avançait la pesante et féroce Allemagne. Oh tragique moment ! Les gens fuyaient vers l'inconnu, éperdument ;  Seuls, ceux de Liége résistèrent  A ce sinistre écroulement  D'hommes et d'armes sur la terre. S'ils agirent ainsi,  C'est qu'ils savaient qu'entre leurs mains était remis  Le sort  De la Bretagne grande et de la France claire,  Et qu'il fallait que leurs efforts,  Après s'être acharnés, se doublassent encor  En des efforts plus sanguinaires. Peu importait  Qu'en ces temps sombres,  Contre l'innombrable empire qu'ils affrontaient,  Ils ne fassent qu'un petit nombre ; A chaque heure du jour,  Défendant et leur ville, et ses forts tour à tour,  Ils livraient cent combats parmi les intervalles ;  Ils tuaient en courant, et ne se lassaient pas  D'ensanglanter le sol à chacun de leurs pas,  Et d'être prompts sous les rafales  Des balles. Môme lorsque la nuit, dans le ciel sulfureux,  Un Zeppelin rôdeur passait au-dessus d'eux,  Les désignant aux coups par sa brusque lumière,  Nul ne reculait, fût-ce d'un pas, en arrière ; Mais, tous ils bondissaient d'un si farouche élan En avant,  Que la place qu'ils occupaient demeurait vide  Quand y frappait la mort rapide. A l'attaque, sur les glacis,  Quand, rang par rang, se présentaient les ennemis,  Sous l'éclair courbe et régulier des mitrailleuses,  Un tir serré, qui, tout à coup, se dilatait,  Immensément les rejetait,  Et, rang par rang, les abattait  Sur la terre silencieuse. Chaudfontaine et Loncin et Boncelle et Barchon  Retentissaient du bruit d'acier de leurs coupoles ;  Ils assumaient la nuit, le jour, sur leurs épaules,  La charge et le tonnerre et l'effroi des canons ; A nos troupes couchées  Dans les tranchées,  Des gamines et des gamins  Distribuaient le pain  Et rapportaient la bière  Avec la bonne humeur indomptée et guerrière.  On y parlait d'exploits accomplis simplement,  Et comme, à tel moment,  Le meilleur des régiments  Fut à tel point fureur, carnage et foudroiement,  Que jamais troupe de guerre  Ne fut plus ferme et plus terrible sur la terre. La ville entière s'exaltait  De vivre sous la foudre ;  L'héroïsme s'y respirait  Comme la poudre ; Le coeur humain s'y composait  D'une neuve substance  Et le prodige y grandissait  Chaque existence. Ô vous, les hommes de demain,  Dût la guerre mortelle et sacrilègre  Nous écraser encor dans un dernier combat,  Jamais, sous le soleil, une âme n'oubliera  Ceux qui sont morts pour le monde, là-bas,  A Liége.
                
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