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Charles Juliet, Lambeaux

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Charles Juliet, Lambeaux Ecartelé. Pris dans une bourrasque qui te jette brutalement en pleine crise d'adolescence, ajoute maintes questions à celles que tu te posais déjà, fait soudain se craqueler ton enfance. Tourments. Fissures. Le sentiment que la vie n'a qu'une seule face et qu'elle est sombre. Ainsi l'ennui. Comme si une sorte de grisaille s'était déposée sur les êtres et les choses, avait tout envahi. L'impossibilité de participer. De t'intéresser à toi-même et à ce que sera ton avenir. Il t'apparaît ô combien vain de travailler, de lutter, de faire tant d'efforts, puisque la mort pourrait t'abattre d'une seconde à l'autre et que tout pour toi s'effondrera un jour. Ainsi la solitude. Cette irruption de l'angoisse lors des premiers jours passés dans cette caserne. La mère et les soeurs n'étaient plus là pour te guider, décider pour toi, t'entourer d'affection. Désormais, tu ne pouvais plus compter que sur toi-même et tu te sentais perdu. Maintenant ce lourd secret. Auprès de qui t'en délivrer et prendre conseil ? Dois-tu céder à ton désir ou écouter la voix de cette culpabilité qui te presse de demander à cette femme de tout arrêter là ? Ainsi les humiliations. Des injures et des menaces qui créent des ravages. Ce besoin chez tel sous-officier de blesser, d'écraser, de t'atteindre au plus profond, de lacérer ton être, de plonger la lame à l'intime de ta pulpe. Après, pendant des jours, la blessure saigne, tu ne peux penser à rien d'autre, es incapable de parler. Une blessure qui te souille, t'avilit, et qui, en te dépouillant de ta dignité, t'as persuadé que tu étais un minable. Ainsi les coups de cafard. Des éboulements à l'intérieur de l'être. Rien ne semble plus possible. Une seule issue : renoncer, déposer les armes. Ces jours où tu broies du noir. Où hébété de souffrance tu ne comprends rien à rien. Où ta vie de jeune militaire te paraît littéralement insupportable. Ainsi les révoltes. Mais des révoltes étouffées. Car tu as très tôt compris que si tu te dressais pour dire non, tu serais brisé, et que ta vie ne serait qu'une infernale descente aux enfers. Des révoltes qui vont jusqu'à te donner des envies de meurtre, mais que tu réprimes avec violence de peur qu'un jour elles ne te poussent à commettre un acte inconsidéré. Puis quand le calme revient, ce désir de fuite, de partir loin, de marcher sans fin sur les routes ... Mais toujours en toi vibre cet amour de la mère. Un amour qui te soutient, t'enjoint de tenir, de te montrer docile et courageux, de lui témoigner ta gratitude en veillant à ne rien faire qui pourrait la peiner.

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