Arthur RIMBAUD (1854-1891) (Recueil : Poésies) - Le dormeur du val
Extrait du document
«
Introduction
Ce sonnet a été inspiré à Rimbaud par un souvenir émouvant de la guerre de 1870.
Mais le poète n'y étale pas
indiscrètement sa sensibilité.
L'élément descriptif prédomine avec l'évocation du cadre de la nature et du personnage.
L'élément lyrique est seulement indiqué par le mouvement d'ensemble du poème, d'une manière de plus en plus précise,
au fur et à mesure de sa progression.
Les thèmes lyriques transparaissent çà et là sous les notations pittoresques.
1.
L'élément descriptif
Ce poème lyrique s'impose d'abord par sa valeur descriptive.
Le cadre de nature y est restitué à l'aide de notations
empruntées à tous les sens : évocation fugitive des parfums qui embaument ce petit val sous le chaud soleil de l'été,
évocation auditive du « chant » d'allégresse de la rivière.
L'élément visuel s'y développe plus largement avec ce « lit de
verdure » où le cresson jette sa note bleue.
Au sein de la couleur dominante, l'œil exercé de l'auteur sait distinguer la
diversité des nuances.
Mais l'indication essentielle est celle d'une lumière intense où le soleil se reflète dans toutes les
gouttelettes d'eau accrochées aux herbes : le petit val « mousse de rayons ».
Le cadre dans son ensemble unit
étrangement deux impressions.
Ses dimensions restreintes lui confèrent quelque chose d'intime que souligne le choix
d'un mot familier : c'est un trou de verdure.
Mais la majesté de la nature s'y associe pourtant, par la perspective
grandiose de la montagne que domine la clarté aveuglante du soleil.
Le même souci de précision se retrouve dans la description du personnage.
Il est dessiné dans son attitude
abandonnée : celle d'un « dormeur » qui se laisse aller en toute liberté aux charmes de ce « somme » en pleine nature.
Il a la « bouche ouverte », la « tête nue ».
Au sein de cette chaleur qui pénètre tout, il semble goûter la fraîcheur
reposante : sa nuque « baigne dans le frais cresson bleu ».
Ici, le poète, non content de traduire les couleurs exactes,
sait associer, dans un contraste où elles se font valoir mutuellement, les nuances de la toile de fond et du portrait.
La
couleur verte du cadre accuse la pâleur du visage.
De ce visage enfin, il nous décrit l'expression avec son sourire un
peu crispé.
2.
L'élément lyrique
Cette crispation du visage ne va pas sans apporter quelque dissonance à l'ensemble de la scène.
Et c'est alors que
nous nous avisons de tout ce que recèle de pathétique discret ce tableau pittoresque.
La composition du poème suit
une progression lyrique.
La valeur d'émotion s'intensifie au fur et à mesure que se développe le poème.
Au début
Rimbaud se contente d'évoquer certains détails dont on n'interprète vraiment la portée qu'à la lumière de ce qui va
suivre.
Cette pâleur de l'homme exsangue pourrait bien n'être qu'un simple reflet, comme ce sourire douloureux pourrait
n'être qu'une expression fugitive.
Mais le ton monte, passe du mode familier à la solennité d'une invocation à la nature.
Ainsi se trouve annoncée, préparée, l'image finale de ce corps inerte, de ce dernier geste de souffrance où la mort l'a
surpris, de ces blessures par où la vie s'en est allée :
« ...la main sur sa poitrine
Tranquille.
Il a deux trous rouges au côté droit.
»
C'est ainsi que nous nous avisons de la portée que revêt la description pittoresque.
Sous sa trame se retrouve
esquissés, suggérés, plusieurs thèmes lyriques essentiels.
D'abord le thème de la nature riante, dont l'éternelle
jeunesse s'exprime avec exubérance, dans une orgie de couleurs et de lumière.
Thème de la mort dont le tragique
s'accuse dans le cas de ce jeune soldat, tombé en pleine jeunesse.
Le contraste entre la pérennité de la nature>et la
vie éphémère de l'homme s'affirme à l'avant-dernier vers dans un membre de phrase où le poète associe la vitalité
triomphante du soleil rayonnant de lumière et le sommeil de la mort :
« Il dort dans le soleil.
»
Enfin l'horreur de la guerre qui s'exprime implicitement ici rejoint un autre thème lyrique : celui de l'humanité.
Conclusion
Par la richesse de ses notations pittoresques autant que par sa suggestive discrétion, ce sonnet s'apparente à la
manière parnassienne.
On ne saurait s'en étonner, car Rimbaud l'a écrit, à l'âge de seize ans, à l'époque où il professait
pour Leconte de Lisle une réelle admiration.
En dépit de sa précoce maîtrise, ce talent brillant n'a pas encore trouvé sa
vraie voie.
Sous peu sa puissante ori-ginalité s'affranchira de toutes les tutelles.
Ce disciple du Parnasse va frayer à la
poésie une voie nouvelle..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Arthur RIMBAUD (1854-1891) (Recueil : Poésies) - Première soirée
- Arthur RIMBAUD (1854-1891) (Recueil : Poésies) - Les assis
- Arthur RIMBAUD (1854-1891) (Recueil : Poésies) - Ma bohème
- Arthur RIMBAUD (1854-1891) (Recueil : Poésies) - La maline
- Arthur RIMBAUD (1854-1891) (Recueil : Poésies) - Tête de faune