rime rime annexée rime approximative rime batelée rime brisée rime dérivative rime dominante rime du même au même rime emperière rime enchaînée
Rime (n. f., probablement du francique « série, nombre »). Le sens moderne se dégage au XIVe siècle, mais ce n’est qu’au XVIe siècle que « rime » et « rythme » sont reconnus comme deux mots d’origine et de signification différentes. La rime française se fonde sur l’homophonie, en fin de vers, de la voyelle non caduque en finale absolue ainsi que des phonèmes consonantiques qui éventuellement la suivent. Il s’y ajoute, dans la poésie traditionnelle, des règles comme celle de l’alternance des rimes masculines et des rimes féminines, et celle de la liaison supposée. Il est d’usage de faire entrer, dans les homophonies qui constituent la rime, les phonèmes qui sont en amont de la voyelle de rime. Par exemple, entre ces deux vers du Cid de Corneille (III, 4), la voyelle de rime est [i], elle est suivie d’un [r], mais l’homophonie complète se fait en [urir] :
Force-les au silence, et sans plus discourir, Sauve ta renommée en me faisant mourir. Certaines rimes peuvent se faire également à la césure ou en début de vers. La disposition des rimes structure la strophe ou le poème, mais la rime a aussi un rôle associatif de rapprochement des signifiants : ce sont souvent des mots clés du poème. Dans la poésie traditionnelle, on n’y trouve que des mots pleins ; ce n’est qu’en 1857, dans ses Odes funambulesques, que Banville ose mettre un mot-outil non accentué en fin de vers. Après une prédominance de l’assonance, la poésie française a eu recours systématiquement à la rime du XIIIe au XIXe siècle. Depuis un siècle environ, en particulier depuis l’avènement du vers libre, le recours à la rime est loin d’être systématique.
rime annexée. Les phonèmes de rime sont répétés au début du vers suivant, comme dans cet exemple du XVe siècle :
Fort se plaint, ne sait ce qu’il doit dire . Ire me tient en grief martyre.
rime approximative. A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les poètes prennent leurs distances avec les règles classiques de la rime, et en particulier les règles de la liaison supposée et de l’alternance, (au profit, éventuellement, d’une alternance entre rimes consonantiques et rimes vocaliques), telles les rimes péri / Jésus-Christ / Paris et saules / miaulent dans ce quintil de « La chanson du Mal-Aimé » d’Apollinaire : Beaucoup de ces dieux ont péri C’est sur eux que pleurent les saules Le grand Pan l’amour Jésus-Christ Sont bien morts et les chats miaulent Dans la cour je pleure à Paris.
rime batelée. Rime qui se répète à la césure du vers suivant, comme dans ces vers de Jean Molinet : Phébus, Phébé et toute estoille fine Périsse et fine //, et soit mise en ruine ; Grand bruine // soit sus terre umbroiant [...].
rime brisée. Les vers riment et par la césure et par la fin de vers, comme dans ces répliques de Polyeucte de Corneille (II, 2) : PAULINE - C'est le remède seul qui peut guérir nos maux. Sévère - Je veux mourir des miens : aimez-en la mémoire.PAULINE — Je veux guérir des miens : ils souilleraient ma gloire.
rime concaténée. Elle répète en début de strophe le dernier vers de la strophe précédente. rime consonantique. On parle de rime consonantique quand le tout dernier phonème du vers est une consonne. Par exemple, dans « Le pont Mirabeau » d’Apollinaire, entre « la Seine » et « la peine », la rime est consonantique, en [n].
rime continue. On désigne ainsi une suite de rimes toutes semblables.
rime coupée. Rime telle qu’elle se fait à l’intérieur d’un mot, dont la fin figure au vers suivant. Exemple : Quand on nous prend la main, sac-
Ré Bon Dieu, dans un sac, Et qu'on nous envoie planter Des choux à la Santé, [...].
(Georges Brassens « La femme d’Hector »)
rime couronnée. Les phonèmes de rime sont redoublés, comme dans cet exemple de Jules Laforgue : Prolixe et monocorde,
Le vent dolent des nuits
Rabâche ses ennuis,
Veut se pendre à la corde
Des puits ! et puis ? Miséricorde !
rime dérivative. Homophonie entre des mots de même racine, comme dans cet exemple de Clément Marot : Volontiers en ce mois-ci La terre mue et renouvelle Maints amoureux en font ainsi Sujets à faire amour nouvelle.
rime dominante. On appelle dominante la rime plusieurs fois présente qui assure l’unité d’un ensemble, par exemple dans un quintil en ababa. C’est le cas ici chez Apollinaire dans « La chanson du Mal-Aimé » : Voie lactée ; ô sœur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses Nageurs morts suivrons-nous d’ahan Ton cours vers d’autres nébuleuses.
rime du même au même. Rime qui fait rimer un mot avec lui-même ; elle est déconseillée, sauf dans les cas d’homonymie (la négation pas et les pas).
rime emperière. Les phonèmes de rime sont répétés trois fois en fin de vers ; les Grands Rhétoriqueurs appellent aussi ces rimes « triples équivoques », tel cet exemple anonyme du XVe siècle : Quant du gay bruyt d’Amours souvent vent vente, Et l’amant, qui son cueur sçavant vend, vante [...].
rime enchaînée. Rime à la fois annexée et dérivative, comme dans ce virelai :
Pire mal sent que desconfort ; Confort le fait : plus n'a nul fort.
rime enjambée. Rime où les phonèmes se répartissent entre la fin du vers-réponse et le début de celui qui le suit, selon la logique de la rime équivoquée, sur ce schéma : Ne parlez pas d'amour. J'écoute mon cœur battre Il couvre les refrains sans fils qui l'ont grisé Ne parlez plus d'amour. Que fait-elle là-bas ? Trop proche et trop lointaine ô temps martyrisé (Aragon, Le Crève-cœur, 1941)
rime équivoquée. Rime fondée soit sur l’homonymie entre deux mots différents (Hugo : l'or du soir qui tombe / sur ta tombe), soit sur un calembour englobant plusieurs mots (Ronsard : la rose/l'arrose).
rime facile. Les poètes classiques déconseillaient comme « faciles » des rimes qui rapprochaient des mots de manière trop évidente : rime d’un mot avec lui-même (à ne pas confondre avec les cas d’homonymie), rime entre mots de la même famille ou se terminant par la même désinence ou le même suffixe, entre mots souvent associés par cliché, etc.
rime féminine. Sont dites féminines les rimes telles que la fin graphique de vers se fait en e caduc, suivi ou non de -s ou de -nt. Signalons que les subjonctifs aient et soient, ainsi que les finales d’imparfait et de conditionnel en -aient forment des rimes masculines, alors que les présents de l’indicatif de même graphie, comme paient, voient, essaient, font des rimes féminines.
rime fratrisée. Rime à la fois annexée et équivoquée. Thomas Sébillet donne cet exemple de Marot : Mets voile au vent, cingle vers nous Charon Car on t'attend [...]. rime inversée (ou renversée). Rime qui intervertit les consonnes autour de la voyelle homophone {verre/rêvè).
rime léonine. L’homophonie de rime s’étend sur deux syllabes, ainsi sur [sere] entre acérés et ulcérés dans ces vers de Baudelaire (« Duellum ») : Les glaives sont brisés ! comme notre jeunesse, Ma chère ! Mais les dents, les ongles acérés, Vengent bientôt l'épée et la dague traîtresse. — O fureur des cœurs murs par l'amour ulcérés !
rime masculine. Sont dites masculines des fins de vers qui ne sont pas en -e caduc.
rime normande. Rime entre deux mots de même orthographe, mais dans lesquels la consonne finale est muette chez l’un et prononcée chez l’autre, comme la rime aimer/mer dans « Les Phares » de Baudelaire.
rime orpheline. C’est une rime sans répondant ; si ce répondant se trouve à la strophe suivante, on parle de rime disjointe.
rime pauvre. Rime fondée sur la seule voyelle non muette en finale absolue de vers, telle la rime en [o] entre ruisseaux et murmure des eaux dans « Le Vallon » de Lamartine.
rime redoublée. Il s’agit d’une rime dont le son se répète plus de deux fois, par exemple dans ce quatrain des Odes de Segalen : Vois : je t’attendris ; je me tiens seul à la ronde. Portant mon élan, t’appelant du bout du monde, ]étant tout mon poids dans l’inversé que je sonde Comme le plongeur d’un pôle vertigineux.
rime rétrograde. Les Grands Rhétoriqueurs parlaient de rimes ou de vers rétrogrades pour des vers qui peuvent se lire dans les deux sens, soit au niveau de la lettre (palindrome), soit au niveau de la syllabe, soit au niveau des mots. L’OuLiPo donne le nom de palindrome à toutes ces figures. Voici un exemple de palindrome syllabique en vers écrit par Georges Perec : L’eau celant Lancelot Gauvain devint Goth Perceval avale ce père Oh, le gars Galehaut...
rime riche. Rime fondée sur trois homophonies, par exemple, consonne + voyelle + consonne, comme dans « L’expiation » de Hugo où « pire » et « empire » riment ensemble.
rime semée. Le terme s’applique à deux types de configuration : soit tous les vers d’une strophe commencent par une même lettre, soit ce sont tous les mots d’un vers qui commencent par la même lettre, tels ces vers de Jean Lemaire de Belges à l’éloge des Français :
François faitiz, francz, fors, fermes au fait,
Fins, frais, de fer, féroces, sans frayeur,
Tels sont vos noms, concordants à l'affect.
rime serpentine. Système fondé sur la reprise d’une même rime d’une strophe à l’autre, avec variantes, : reprise à la même place (aabb ccbb ddbb...), reprise de la dernière rime au début de la strophe d’après (aabb bbcc ccdd...), système qui combine les deux : aabb bbaa aacc ccaa aadd...
rime suffisante. Rime qui se fonde sur deux phonèmes communs : voyelle + consonne (ou consonne + voyelle). La rime consonne d’appui + voyelle a longtemps été considérée comme riche.
rimes biocatz (ou vers biocatz). Procédé repris des troubadours et qu’on retrouve par exemple chez Aragon : un double réseau de rimes intérieures et de rimes finales permet de lire les vers selon deux schémas métriques ; quatre vers de seize syllabes peuvent par exemple se lire comme un huitain d’octosyllabes.
rimes croisées. Disposition alternée des rimes, où rime d’appel et rime-réponse s’entrecroisent : abab. C’est une base structurelle pour la strophe.
rimes embrassées. Disposition qui, à partir du même début, ab, opère un renversement en chiasme, ce qui donne abba. C’est, comme pour les rimes croisées, une base structurelle pour la strophe.
rimes plates. Disposition où la rime de réponse suit immédiatement la rime d’appel en suite ouverte : aabbcc, etc. Très utilisée dans le théâtre en vers, dans les épîtres et tous les genres suivis.