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MAUPASSANT Guy de 1850-1893

MAUPASSANT Guy de 1850-1893 Conteur et romancier, né au château de Miromesnil, en Normandie. Il passe son enfance à travers champs ; et libre, dit-il, comme un « poulain échappé ». Ce n’est qu’à treize ans qu’il commence ses études. Mais le séminaire d'Yvetot le rebute ; il se fait renvoyer. C’est alors un rude et allègre gaillard (d’une irritabilité excessive, cependant), qui s’adonne aux sports violents en plein air, et surtout au canotage. Engagé volontaire en 1870, il occupe ensuite pendant dix ans de petits emplois de commis dans plusieurs ministères, à l’abri de quoi il écrit des contes et même des vers. Flaubert, ami de la famille, corrige ses premiers essais. Boule-de-Suif, un conte paru en 1880 dans le recueil des Soirées de Médan, sous le patronage de Zola, le rend célèbre du jour au lendemain. Dès lors, à raison de quatre volumes par an, Maupassant va produire quelque deux cents contes et nouvelles, six romans et plusieurs recueils d’articles ou de récits de voyages. Jusqu’en 1885, le conte, en particulier, le conte paysan, domine: La Maison Tellier (1881), Les Contes de la bécasse (1883), à quoi s’ajoute le beau roman Une vie (1883). La fortune et la gloire amènent ce « conteur normand » à élargir son champ d’observation. Il voyage, entreprend des croisières. Paraissent alors les trois romans Bel-Ami (1885, la plus retentissante de ses œuvres et aussi la plus discutée), Pierre et Jean (1888), Notre cœur (1890), et un conte fantastique, Le Horla (1887).
Son équilibre mental s’est encore compromis par le surmenage des dix dernières années. La neurasthénie va, plus tard, envahir les œuvres de cet athlète (qui avait été, pendant dix ans, le juge cruel - mais alerte - de la « bêtise humaine », à l’exemple de son père spirituel Flaubert) : Le Horla et Fort comme la mort, en particulier, se ressentent de cet accablement qui va confiner à l’anxiété ; des hallucinations l’assaillent bientôt. L’internement de son frère, sujet à des accès de fureur homicide, l’affecte plus encore ; et, en 1892, lors d’une visite chez sa mère, à Nice, il tente de s’ouvrir la gorge. Il est interné à son tour dans la maison de santé du Dr Blanche. Il y mourra, sans avoir recouvré la lucidité, après dix-huit mois d’inconscience ou de prostration, coupées de crises violentes. « Savoureux, clair, robuste comme la joie » ; c’est ainsi qu’à l’occasion de sa mort le décrit Mallarmé. On a trop tendance, et peut-être en souvenir de ses dramatiques dernières années, à ne voir en lui qu’un misanthrope, un désespéré. Sans doute ne connaîtra-t-il jamais, pas même en sa jeunesse, cet enthousiasme qui est le propre de tout son siècle. Il n’a pas la religion de l’Humanité, comme Hugo ; ni la religion de la Science, comme Zola. Ni même la religion de l’Art, comme son parrain littéraire Flaubert, à qui, en revanche, il doit sa haine solide pour la « bourgeoisie ». Cette bête noire s’introduit dans toutes ses lettres et jusque dans les œuvres de fiction : Nous vivons dans une société affreusement bourgeoise [...] Jamais, peut-être, on n’a eu les idées, l’esprit plus étroits et moins humains (L’Amour à trois). À propos de Boule-de-Suif, il écrit à Flaubert (5 janvier 1880) : Notre désintéressement voulu, dans ces questions où chacun apporte inconsciemment de la passion, exaspère les bourgeois, mille fois plus que des charges à fond de train. Cette dernière déclaration peut surprendre. Mais n’apporte-t-elle pas la clé de l’incompréhensible et bien tenace malentendu qui transforme Maupassant, dans les manuels, en un noir nihiliste accablé par le destin? Dans sa période de pleine lucidité, c’est-à-dire jusqu’aux toutes dernières années de sa carrière (et même, au lendemain de sa mort, dans le souvenir de ses intimes), il reste conforme à la définition citée plus haut de son ami Mallarmé. Et c’est bien là le pire : Maupassant est un spectateur amusé, quoique pince-sans-rire, de la vie mesquine et bête que mène la société de son siècle. Le public, et la critique surtout, lui auraient pardonné à la rigueur les grands cris de l’indignation, la sainte colère du prophète ; du justicier, qui désigne du doigt. Mais non : il montre. Simplement. Et c’est ce décalage entre le spectacle ainsi montré - risible, ou horrible, ou révoltant - et l’impassibilité du narrateur (le désintérêt, ou mieux le désintéressement comme il dit lui-même dans la lettre à Flaubert citée plus haut) qui nous fait croire à son absence de tout espoir. Anatole France, par exemple, s’en alarme, et s’écrie dans La Vie littéraire (1889, tome 1, p. 56) : « L’indifférence de Maupassant rappelle celle de la nature ! Elle m’agace et m’inquiète. Je voudrais savoir ce que pense au fond de son âme cet homme infatigable, fort et bon? »
Or, à la même époque (février 1887), le journal socialiste de Jules Guesde, La Voix du peuple, avait déjà décelé le caractère nettement combatif et implicitement révolutionnaire de ce prétendu « désespéré ». Il publiait en feuilleton Bel-Ami, précédé d’un commentaire analytique un peu simpliste, mais que je citerai ici pour son pittoresque (et aussi parce qu’il renouvelle, de façon bien réjouissante, l’optique traditionnelle sur ce roman) : « Nous commencerons aujourd’hui la publication du chef-d’œuvre de Maupassant. Bel-Ami est un officier de l’armée d’Afrique, sans principes et sans conscience. Après avoir exploité sans vergogne les relations sociales d’une femme de lettres malchanceuse, cet aventurier l’abandonne dès qu’elle cesse de lui être utile. Puis il devient collaborateur d’un journal gouvernemental, et se marie avec la fille de l’éditeur. Comme on peut le voir, il s’agit d’une histoire très actuelle. » En effet, et ce sera ma conclusion. Maupassant nous a prouvé qu’il n’est pas nécessaire de dénoncer - comme on dit - la société actuelle : il suffit de la décrire. Ce n’est pas parce qu’il a l’esprit déformé par une neurasthénie envahissante ou par une folie latente que cette « vue sur le monde » qu’il nous présente est effrayante, et dérisoire ; mais parce qu’il est un bon peintre.