catastrophe catharsis cauda cénacle césure césure enjambante chaîne de référence champ sémantique chanson d’aventures chansonnier
catastrophe. Du grec katastrophè, « retournement complet », la catastrophe était la quatrième et dernière partie des tragédies grecques, après la protase, l’épitase et la catastase. Le terme est utilisé chez les poéticiens et dramaturges français à l’époque classique. La catastrophe est le changement complet qui arrive à la fin de l’action d’une pièce de théâtre et qui la termine. Elle peut se confondre avec la péripétie, le dénouement ou n’en constituer qu’un aspect. Dès la fin du XVIIIe siècle, le mot ne s’applique plus, en général, qu’à des dénouements tragiques et sanglants, alors qu’on parlait auparavant de « catastrophe heureuse » aussi bien que de « catastrophe tragique ».
catharsis (n. f.). Mot grec signifiant « purification, épuration, purgation » et utilisé par Aristote dans sa définition de la tragédie. La tragédie « suscitant pitié et crainte, opère la purgation propre à pareilles émotions ». Cette notion a suscité de très nombreuses controverses, si bien qu’il n’est guère possible de la définir sans se rallier à une interprétation, et l’histoire de ces interprétations est évidemment étroitement liée à celle des conceptions de la tragédie. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on traduit le terme par purgation des passions et on l’interprète tantôt dans le sens moral ou esthétique de « modération » des passions, tantôt dans un sens complètement moralisateur de « purification ». La tragédie opérerait une cure morale chez le spectateur. On s’avise plus rarement qu’Aristote applique ce terme à la terreur et à la pitié et on l’interprète alors comme désignant l’effet de la tragédie sur le spectateur qui ressent un sentiment de crainte et de pitié sans pour autant éprouver les affects désagréables qui, dans la vie, accompagnent ces deux impressions. Cette dernière interprétation marque les traductions des XIXe et XXe siècles et se trouve en général reprise au prix de diverses adaptations chez les théoriciens du théâtre et de la tragédie (Nietzsche, Brecht). Depuis la seconde moitié du XXe siècle, on reprend en général le terme grec sans le traduire et, sous l’influence de Freud, on désigne par catharsis le fait de revivre une situation en vue de l’élimination d’affects pathogènes qui lui sont attachés. Le théâtre est alors investi d’une fonction de cure psychiatrique homéopathique. Cette conception marque de nombreuses expériences théâtrales des trente dernières années du XXe siècle.
cauda (n. f.). Dans la poésie des troubadours, et en particulier dans la canso, chaque strophe est composée d’une première partie nommée frons et d’une seconde, de structure plus libre, appelée cauda (en latin : « queue »).
cénacle. A la fois « chapelles » littéraires et groupes militants, les cénacles romantiques furent des lieux de réunions où la jeune génération s’organisa en vue de promouvoir, contre le classicisme et l’Académie, les principes de la nouvelle esthétique. Le salon des frères Deschamps dès 1819, celui de Charles Nodier à la Bibliothèque de l’Arsenal entre 1824 et 1830 jouèrent ce rôle. Mais le Cénacle par excellence fut celui qui regroupa entre 1827 et 1830, autour de Victor Hugo et de Sainte-Beuve, alors voisins rue Notre-Dame-des-Champs, de jeunes poètes et artistes nommés Musset, Gautier, Dumas, Nerval, Delacroix... Aux lendemains de la révolution de Juillet, un Petit Cénacle réunit des Jeunes-France dans l’atelier du sculpteur Jehan Duseigneur et autres lieux. On y retrouve Nerval et Gautier ainsi que des « petits romantiques » comme Philothée O’Neddy et Pétrus Borel.
centon (n. m., du latin cento, « habit fait de plusieurs morceaux »). Pièce de vers ou de prose composée, à la manière d’un patchwork, d’éléments empruntés. Le mot sert aussi à désigner les emprunts eux-mêmes.
césure (n. f., du latin caesura, « coupure »). Point fixe de partage des hémistiches dans les vers de plus de huit syllabes. De Ronsard à Banville, nombre de poètes l’ont ressentie et indiquée comme un repos. C’est en tout cas un lieu structurel comparable à la fin de vers. Prenons l’exemple de l’alexandrin. Dans la poésie classique et traditionnelle, il n’y a jamais d’e non élidable dans les syllabes qui entourent la césure. Trois cas peuvent se présenter (les vers sont de Laforgue) : - après finale absolue non muette de mot plein :
Et depuis les Toujours, // et vers l’Éternité
- après monosyllabe accentué : Que Tout se sache seul // au moins pour qu’il se tue!
- après un e final élidé devant voyelle du mot suivant : Oh ! qu’il n’y ait personn(e) // et que Tout continue !
Les mots de césure, comme les mots de rime, ont un statut particulier dans la poésie traditionnelle : ce sont obligatoirement des mots qui portent l’accent (des « mots pleins »). Les romantiques ont osé couper par la césure des groupes grammaticaux solidaires, et donc Laforgue n’est pas particulièrement novateur quand il fait passer la césure - après une préposition :
Je me suis perdu par // mes grands vingt ans, ce soir
— entre le déterminant et le substantif : Fleuve à reflets, où les // deuils d’Unique ne durent
— entre le substantif et son épithète : Où je brûlais de pleurs // noirs un mouchoir réel,
Une audace qui date d’un peu avant 1870 fait passer la césure à l’intérieur d’un mot : Dans leurs incessants vor // tex de métamorphoses
Peu à peu, le soulignement de la césure par l’articulation syntaxique a pu ainsi s’effacer, ce qui n’enlève pas à la césure sa position métrique remarquable. Les poètes modernes et contemporains réutilisent également des césures pratiquées au Moyen Age (dites enjambante, épique, lyrique) sur des .positions d’e bannies dans la prosodie traditionnelle.
césure enjambante. On parle de césure enjambante dans le cas d’un e final non élidable dans la syllabe qui suit la césure. Exemple de Laforgue : Et buvant les étoi // les à même : « ô Mystère !
césure épique. La césure épique correspond à l’apocope d’un e final non élidable en fin de premier hémistiche, donc dans la syllabe qui précède la césure. Le cas est relativement rare. Exemple de ce décasyllabe 5/5 de Jules Supervielle : Montagnes derrièr(e), // montagnes devant.
césure lyrique. Il y a césure lyrique quand le premier hémistiche se termine par un e final non élidable et prosodiquement compté. Exemple de ce décasyllabe 4/6 d’Émile Verhaeren :
D’un coup brusque // le gouvernail cassa.
chaîne de référence. On appelle chaîne de référence (ou chaîne anaphorique) l’ensemble des expressions (noms, pronoms, déterminants...) qui, dans un texte, renvoient à un même référent. Les chaînes de référence assurent donc en partie la cohésion d’un texte et sont traditionnellement l’occasion d’un complexe travail stylistique : Étant le Fils de Dieu, Jésus connaissait tout, ! Et le Sauveur savait que ce Judas, qu'il aime, / Il ne le sauvait pas... (Ch. Péguy, Jeanne d’Arc, 1897).
champ sémantique. Un texte exploite un champ sémantique lorsqu’il utilise un certain nombre de mots qui ont au moins un trait sémantique en commun, lorsqu’ils renvoient à des réalités concrètes ou abstraites liées entre elles ; ces vers d’É. Verhaeren contiennent ainsi plusieurs mots appartenant au champ sémantique de la mer et de la marine : Quand se gonflent, aux vents atlantiques, les voiles ! Et que vibrent les mâts et les cordages clairs (La Multiple Splendeur, 1906). On emploie aussi l’expression de champ lexical, même si cette dernière est parfois réservée à des séries de mots formés sur le même radical (Marins, qui partez sur la mer, ibid.). Quand le trait sémantique commun à plusieurs termes est plus ténu, en filigrane, ou seulement très secondaire (s’il s’agit par exemple de la réactivation d’un champ métaphorique figé), l’analyse littéraire préfère parler d’isotopie.
chanson d’aube. Au Moyen Age, poème lyrique du type de la chanson de femme, faisant intervenir jusqu’à quatre personnages : la femme, l’amant, le guetteur, le jaloux. Elle n’est qu’à peine narrative : une femme évoque le déplaisir de la séparation qu’impose à un couple adultère le lever du jour. Sa forme française d’oïl correspond à celle de l'alba de la lyrique d’oc. Le genre a existé peut-être dès le Xe siècle, et s’est éteint au début du XIVe siècle. Il ne faut pas le confondre avec l’aubade.
Chanson d’aventures. Variété de chanson de geste, caractéristique de la production des XIVe et XVe siècles, où les thèmes épiques sont concurrencés par les structures narratives illustrées dans l’Antiquité par le roman grec : voyages lointains, séparations, enlèvements, reconnaissances, tempêtes et mésaventures de toute sorte. Les caractères formels demeurent ceux de la chanson de geste (usage de la laisse monorime, recours au style stéréotypé), mais l’esprit est changé : les aventures individuelles du héros l’emportent sur les grands enjeux collectifs, même s’ils continuent de former un arrière-fond. Le type en est la chanson de Lion de Bourges (XIVe siècle).
chanson de croisade. Forme poétique dans laquelle le poète, au moment de partir pour la croisade, évoque les attachements, en particulier amoureux, auxquels il va devoir renoncer (XIIe XIIIe siècle). Il ne faut pas la confondre avec les chansons de geste du cycle de la Croisade, poèmes épiques dont le sujet est le récit fabuleux des événements de la première croisade.
chanson de geste. Forme littéraire épique médiévale (XIe XVe siècle), caractérisée par des règles formelles : usage de la laisse construite sur une seule rime ou une seule assonance, emploi d’un style formulaire et de motifs rhétoriques stéréotypés, abondance des phénomènes de parallélisme et, plus généralement, de l’écho à la fois sémantique et rythmique. Les événements relatés renvoient (le plus souvent fictivement) à la période carolingienne, quelquefois aux périodes mérovingienne ou capétienne. Les auteurs médiévaux distinguaient trois cycles épiques, à quoi il faut ajouter le cycle de la Croisade. Au XIVe et au XVe siècle, la chanson de geste s’est transformée en chanson d’aventures. Il est impossible de saisir les origines de ces chansons, dont les rapports à l’Histoire sont en général très distendus. Les textes qui nous sont parvenus sont des remaniements de remaniements, et continuent de se transformer jusqu’à la fin du Moyen Age. Au XVe siècle, plusieurs de ces chansons ont été mises en prose. Leur esthétique est une esthétique de l’oralité : elles étaient destinées, du moins jusqu’au XIIIe siècle, à être débitées par épisodes par des jongleurs sur les places publiques, les lieux de pèlerinage et dans les cours seigneuriales, et ont toujours conservé, dans leur style même, les caractères attachés à l’énergie vocale et aux conditions de la « performance » orale.
chanson de malmariée. Forme lyrique médiévale, du type (popularisant) de la chanson de femme. Elle évoque les rêves d’amour d’une jeune femme dont le mariage est mal assorti, rêves qui se matérialisent souvent à la fin de la chanson.
chanson de toile. Forme lyrique du Moyen Age (XIIe-XIIIe siècle), du type des chansons de femme, également nommée chanson d’histoire. Les œuvres sont généralement anonymes (à l’exception de celles d’Audefroy le Bâtard, au XIIIe siècle). Le locuteur est féminin, le poème mentionne dans les premiers vers l’activité de broderie de l’héroïne (d’où le nom de chanson de toile), qui est fréquemment désignée par le qualificatif « Belle » associé à son prénom (Belle Doette as fenestres se siet). La jeune femme se lamente sur des circonstances qui l’ont séparée de son ami, ou sur la crainte d’une rupture : le ton est douloureux, comme le souligne souvent le refrain, mais le dénouement est heureux. L’esthétique est généralement archaïsante.
chansonnier. Au Moyen Âge, manuscrit dans lequel sont rassemblés des poèmes lyriques (chansons) accompagnés de leurs mélodies. Dans les chansonniers méridionaux sont insérées des vidas et des razos.
chant courtois (ou grand -). Forme poétique des XIIe et XIIIe siècles, qui adapte en langue d’oïl la canso de langue d’oc. Ce nom lui a été donné par R. Dragonetti. Sa thématique est exclusivement celle de la célébration de la fin’amor. Le locuteur est un « je » d’essence aristocratique, auquel peuvent s’identifier tous les auditeurs qui appartiennent à ce même milieu et qui partagent les valeurs et les finesses de la courtoisie. C’est une poésie savante dans son art de mettre en œuvre les sons et les rythmes, mais plus réservée que la canso dans son style comme dans son expression du désir amoureux. Il n’existe pas dans le chant courtois d’équivalent du trobar clus. Comme la canso, le poème peut s’achever sur un envoi.
chant royal. Genre à forme fixe des XIVe et XVe siècles. L’adjectif « royal » en souligne la dignité et le caractère solennel. Il comprend à l’origine cinq strophes décasyllabiques construites sur les mêmes rimes, suivies d’un envoi. A la fin du XIVe siècle vient s’ajouter un refrain : le chant royal apparaît dès lors très proche de la ballade, dont il devient une sorte de variante plus ample. Les plus grands poètes l’ont pratiqué : Guillaume de Machaut, Froissart, Eustache Deschamps, Charles d’Orléans et Clément Marot au début de la Renaissance.
Liens utiles
- Chanson d'automne de Oscar-Vadislas de Milosz, Le poème des décadences.
- Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : La bonne chanson) - Une Sainte en son auréole
- Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : La bonne chanson) - Nous sommes en des temps infâmes
- Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : La bonne chanson) - N'est-ce pas ? en dépit des sots et des méchants
- Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : La bonne chanson) - Le soleil du matin doucement chauffe et dore