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ARTAUD Antonin 1896-1948

Poète, né à Marseille. Poète, mais aussi acteur, animateur de théâtre et théoricien d’un nouvel « art dramatique », Artaud a été reconnu après sa mort et mis à sa vraie place, qui est au premier rang. Entre tant de poètes qu’on nomme maudits, celui-ci a véritablement, physiquement, payé de sa personne ; bien que soigné dès son jeune âge pour déséquilibre mental, il n’hésitera pas à se jeter dans de périlleuses expériences, telles que le recours aux drogues (le peyotl mexicain, en particulier), chargées d’ajouter à ses irrépressibles hallucinations un appoint de visions déformantes. Sa famille le fera interner (voir ses Lettres de Rodez) de 1937 à 1946, date à laquelle ses amis obtiennent sa libération. Comédien en 1922 chez Dullin (qui bientôt lui semble trop classique), il collabore à la revue La Révolution surréaliste. En tant que poète - L’Ombilic des limbes (1925) et Le Pèse-nerfs (1927) -, Artaud se révèle aussi bouleversant dans son ton, son timbre de voix, que foisonnant dans son art. Et la part la plus riche de ces deux livres est, de plus, l’analyse de ses sensations de décorporation de la réalité. Sur un autre plan, il crée et anime avec Roger Vitrac, de 1927 à 1929, le Théâtre Alfred-Jarry (qui, entre autres, fait connaître Strindberg au public français de sa génération). Mais c’est un spectacle de danses balinaises, présenté à l’Exposition coloniale de 1931, qui va constituer pour Artaud la révélation décisive ; de ce jour, il se fera le théoricien d’une nouvelle dramaturgie, en rupture totale avec la conception traditionnelle ; Manifeste du théâtre de la cruauté (1932), suivi de La Mise en scène et la métaphysique, etc. Tous ces essais, publiés en revue, seront réunis plus tard dans Le Théâtre et son double (1938).
La cruauté dont il est question dans le premier de ces articles doit s’entendre avant tout comme une violence faite à notre pensée (en l’espèce, au mode de pensée occidental). On interprète parfois ces idées et ces formules d’Artaud selon un schéma un peu trop simplifié. Pour lui, notre culture discursive, excellente dans la vie pratique, est débilitante, sinon mortelle, en matière de littérature ; aussi propose-t-il, en guise d’exemples, outre les spectacles balinais, les rites des Tarahumaras qu’il a observés au Mexique en 1936, ou encore le hiératique nô. Nous voici loin de la cruauté conçue comme l’étalage sur le plateau de visions d’horreur (ce qui est vieux comme le théâtre : mélodrame, spectacle d’épouvante, grand-guignol) ; loin aussi de la technique commerciale du « chauffage de salle » (qui ne péchait pas trop jusqu’ici par sa rareté en Occident). Pour Artaud, le théâtre doit être avant tout exorcisme : alors que les Anciens se contentaient d’y voir purger les passions (un exutoire à nos mauvais instincts, nous rappelle Artaud avec humour), ce qu’il s’agit cette fois de purger, c’est notre peur d’aller au monde et, par suite, il s'agit [...] de créer une métaphysique de la parole, du geste, de l'expression. Artaud veut nous guérir de la peur par la peur. On conçoit que toutes ces vues nouvelles, ces perspectives, ces échappées, aient captivé les hommes de théâtre, depuis Jean-Louis Barrault, son ami, jusqu’à l’Anglais Peter Brook et au Polonais Jerzy Grotowski. Sans doute pensa-t-il un instant que ses propres expériences, incomprises à l’époque (Les Cenci, représentés sans succès en 1935), n’étaient pas concluantes ; mais la fécondité de ses principes apparaît immense et inépuisable aujourd’hui. On a trop souvent jugé Artaud sur des affirmations (d’ailleurs nullement provocantes dans leur intention, mais profondément vécues), des cris, par exemple : toute écriture est de la cochonnerie. Ou sur de simples titres, décevants pour qui s’en tient là et ne s’avise pas d’aller plus loin (par exemple : Pour en finir avec le jugement de Dieu, texte publié en 1947 d’une émission radiophonique qui, sur ordre, sera interdite). Souhaitons au contraire que le débat auquel ont donné naissance ses recueils poétiques, tout autant que ses conceptions révolutionnaires en matière de théâtre et les expériences qui s’autorisent de son nom, donnent envie de se reporter à tous ses écrits, y compris ses poèmes. Avec moi dieu-le-chien, par exemple, ou Invocation à la momie ; ou encore la pièce intitulée Description d'un état physique (Une fatigue de commencement du monde [...], une espèce d'éblouissement oblique qui accompagne tout effort...). Les Œuvres complètes, riches en textes jusqu’alors inédits, ont été rassemblées de 1946 à 1981.

Œuvres - En pocher L'Ombilic des limbes, suivi de Le Pèse-nerfs, etc. (coll. Poésie/Gallimard). - Le Théâtre et son double, suivi de Le Théâtre de Séraphin (Folio Essais). - Les Tarohumaras (id.). - Autres : Œuvres complètes, en 28 vol. (Gallimard). - Ainsi donc la question (dans Tel Quel, n°30, Le Seuil).